Intervention de Catherine Coutelle

Réunion du 25 janvier 2017 à 9h30
Commission des affaires sociales

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaCatherine Coutelle, rapporteure :

La commission mixte paritaire (CMP) qui s'est réunie hier soir pour examiner la proposition de loi relative à l'extension du délit d'entrave à l'interruption volontaire de grossesse (IVG) a échoué ; nous voici donc saisis de ce texte en nouvelle lecture. Je regrette cet échec et tiens à souligner le travail important que nos collègues sénateurs ont accompli ; il n'aura pas été inutile, puisque je vous proposerai de retenir certaines des modifications apportées par le Sénat. Force est toutefois de constater que nos positions étaient inconciliables, et ce pour trois raisons principales.

Tout d'abord, la rédaction proposée par le Sénat ne mentionne le délit d'entrave numérique qu'au dernier alinéa de l'article, laissant ainsi de côté tout un pan des moyens développés par des sites internet – y compris les conseils téléphoniques qu'ils dispensent – pour diffuser de fausses adresses de centres de planning familial, perturbant directement l'accès à ces établissements.

Deuxièmement, le Sénat a supprimé la référence à la nature des informations concernées par le délit d'entrave numérique. Or, ces éléments ont précisément été introduits dans le texte pour protéger le dispositif contre le supposé risque d'atteinte à la liberté d'expression et d'opinion, qui a tant occupé nos débats en première lecture. En effet, l'absence de telles précisions pourrait laisser croire que la seule diffusion d'informations contre l'IVG serait pénalisée, alors qu'en réalité, la diffusion ne sera pénalisée que si et seulement si elle est de nature intentionnellement dissuasive et destinée à induire la personne visée en erreur.

Enfin, le texte adopté par le Sénat gomme toute référence explicite au recours à la voie électronique par les auteurs du délit d'entrave, qui constitue précisément l'objet initial, la raison d'être de la proposition de loi. Cela ne nous a pas paru acceptable.

Avant d'en venir à la discussion sur le texte proprement dit et à la présentation de mon amendement de rédaction globale du texte, je tiens à rappeler une fois de plus quelques éléments essentiels. Contrairement à ce que d'aucuns ont pu prétendre, cette proposition de loi n'a pas pour objectif la fermeture de sites internet ou la pénalisation des opinions opposées à l'avortement. J'y insiste : elle ne crée par un nouveau délit d'entrave, mais se greffe sur l'incrimination qui existe déjà depuis plus de vingt ans, sans que personne l'ait jamais estimée contraire à la liberté d'expression. Je rappelle l'article 5 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 : « Tout ce qui n'est pas défendu par la loi ne peut être empêché, et nul ne peut être contraint à faire ce qu'elle n'ordonne pas. » Autrement dit, personne n'a le droit de s'ériger en censeur des autres au nom de ses convictions personnelles, aussi respectables soient-elles.

Je rappelle également que, dans le champ pénal, la Cour de cassation a jugé dès 1996 que la liberté d'opinion et la liberté de manifester ses convictions en public comme en privé, consacrées par l'article 9 de la Convention européenne des droits de l'homme, « peuvent être restreintes par des mesures nécessaires à la protection de la santé ou des droits d'autrui ».

Cette proposition de loi vise simplement à adapter notre législation aux nouveaux moyens techniques qui se sont développés depuis 1993, et qui permettent aujourd'hui à des sites internet, sous le prétexte de donner une information ou de prodiguer un « accompagnement », de proposer un « numéro vert » qui en réalité n'en est pas un, de harceler des femmes par des courriers électroniques, des messages SMS voire des appels téléphoniques incessants – jusqu'à plusieurs dizaines par jour – afin qu'elles reportent un rendez-vous chez le gynécologue, au point que des mineures, à qui il est conseillé de ne surtout pas en parler à leurs parents – je dispose sur ce point de témoignages directs – finissent par renoncer. Comment qualifier ces agissements autrement que de pression morale et psychologique ? En clair, cette proposition de loi permettra simplement d'ouvrir des poursuites là où le texte actuel, qui date, comme je l'ai dit, de 1993, n'est pas assez armé pour le permettre.

J'en viens à mon amendement de rédaction globale de l'article unique. Il vise à rétablir le texte voulu par l'Assemblée nationale tout en conservant la clarification apportée par le Sénat au troisième alinéa de l'article L. 2232-2 du code de la santé publique. En effet, il est souhaitable de rétablir les propositions formulées par notre Assemblée en première lecture concernant l'intentionnalité des indications et des informations visées ainsi que la caractérisation du support, numérique ou électronique, afin de bien caractériser le délit d'entrave numérique. Ces précisions seront rétablies dans le « chapeau » de l'article L. 2232-2, qui définira donc ce délit comme une entrave faite « par tout moyen, y compris par voie électronique ou en ligne », et « par la diffusion ou la transmission d'allégations ou d'indications de nature à induire intentionnellement en erreur, dans un but dissuasif, sur les caractéristiques ou les conséquences médicales d'une interruption volontaire de grossesse ».

Dès lors, au dernier alinéa dudit article L. 2232-2 relatif aux pressions morales et psychologiques, l'amendement que j'ai déposé reprend la rédaction du Sénat, qui me semble de bon aloi, à la seule réserve que la précision « par tout moyen » soit bien renvoyée dans le chapeau de l'article. Le reste de l'amendement comporte les modifications de coordination nécessaires pour l'application de ces dispositions dans les outre-mer, qui nous ont été signalées par le Sénat et qu'il me semble très important de maintenir.

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