Intervention de Agnès Buzyn

Réunion du 18 janvier 2017 à 16h15
Commission des affaires sociales

Agnès Buzyn, présidente du collège de la Haute Autorité de santé, HAS :

Je commencerai par répondre sur ces questions liées à la démocratie sanitaire.Les représentants des patients dans les différentes commissions de la Haute Autorité et dans les différents groupes de travail thématiques ont le statut d'experts depuis 2008. Nous avons agi très rapidement pour que les représentants d'usagers et de patients soient présents dans toutes les structures décisionnelles. Cela dit, il nous semble que c'est encore insuffisant, la représentation d'une ou deux associations ne rendant pas compte, naturellement, du ressenti et du vécu de la totalité des personnes concernées.

Monsieur Lurton, vous m'interrogez sur l'implication des patients dans l'évaluation des produits de santé. Nous avons lancé une expérimentation le 15 novembre dernier, avec l'accord des entreprises du médicament (LEEM) et du Syndicat national de l'industrie des technologies médicales (SNITEM). Si l'industriel en est d'accord – pour le moment ils le sont tous –, tous les nouveaux produits évalués sont mis sur le site internet de la HAS, avec appel à candidatures des associations de patients agréées, afin qu'elles répondent à un questionnaire. Ce questionnaire, relativement fermé, leur permet de faire état de leurs besoins et de leur expérience des médicaments actuellement sur le marché, afin de mieux anticiper les difficultés qu'ils rencontrent face à tel ou tel effet secondaire et ce qu'ils attendent d'une alternative thérapeutique. Je souligne que nous ne leur demandons pas d'évaluer les médicaments, mais de donner un point de vue sur les besoins et le ressenti quotidien des malades. Aujourd'hui, pour chaque médicament, nous recevons des contributions, que nous partageons avec la Commission de la transparence et avec la Commission nationale d'évaluation des dispositifs médicaux et des technologies de santé (CNEDIMS). Ces contributions, extrêmement riches, donnent un éclairage tout à fait nouveau, que n'apportent ni les professionnels de santé, ni les représentants de patients qui siègent au sein des commissions – et qui, généralement, connaissent une seule pathologie. Cette expérimentation a débuté, je le répète, il y a deux mois, et nous dresserons un bilan à six mois, pour la rendre quasiment obligatoire. Bien entendu, je suis prête à en rendre compte devant vous.

Madame Khirouni, vous me demandez sur quelles mesures la HAS souhaite s'engager en matière de démocratie sanitaire. Je considère que c'est un sujet très important et que nous ne sommes pas allés assez loin. La représentation des patients au sein des instances, au sein des groupes, commence à dater. C'est une étape que nous devons dépasser, en recueillant pour nos évaluations le point de vue des patients, leur ressenti, leur vécu quotidien. C'est ce que nous faisons déjà dans les établissements de santé. Le colloque international qui a eu lieu au mois de novembre dernier a fait état d'un certain nombre d'expériences internationales, consistant à évaluer les résultats de telle ou telle pratique en médecine de ville, par exemple la prise en charge par les kinésithérapeutes d'une cheville fracturée, avec un retour vers les praticiens, afin de permettre une amélioration continue des soins. L'idée n'est évidemment pas de juger les professionnels, mais de les aider à évaluer leurs pratiques et, le cas échéant, à les modifier. Ce sont des expérimentations que nous pourrions également mettre en oeuvre dans le champ ambulatoire, sur la base du volontariat.

Monsieur Perrut, notre site est riche en informations, mais il est difficile, notamment aux patients, de s'y retrouver. Nous allons tenter de le rendre plus accessible au grand public, en veillant à ce que les informations qui s'y trouvent permettent aux patients d'être davantage acteurs de leur santé. Je ne vise pas, par là, ce qui concerne les recommandations, destinées aux praticiens, mais ce qui nécessite, par exemple, une décision médicale partagée, en particulier lorsque celle-ci est difficile à prendre. C'est ce que font le Canada et d'autres pays.

Monsieur Bapt, les questions de la vigilance, de la surveillance, ainsi que du prix des médicaments, ne nous concernent pas. Nous ne faisons pas non plus d'information dans les médias. Nous sommes mieux à même de faire des recommandations de santé publique susceptibles de modifier les politiques publiques en matière, par exemple, de vaccination ou de dépistage, ce que ne fait pas Santé publique France (SPF). Nous arrivons bien à borner notre champ de compétences.

Vous demandez s'il ne faudrait pas désavantager les établissements qui ne répondraient pas aux critères de qualité IFAQ. À l'heure actuelle, le simple fait, pour un établissement de santé, de ne pas recevoir d'argent supplémentaire est déjà une forme de pénalisation – c'est en tout cas ce qu'il ressent… Certes, on ne lui retire pas de l'argent, mais on ne lui en donne pas plus. La direction générale de l'offre de soins (DGOS) ne souhaite pas aller plus loin.

Vous m'interrogez sur les traitements d'immunothérapie très coûteux, notamment contre les cancers, et sur la différence entre ces traitements et les antiviraux d'action rapide contre l'hépatite C. Il est vrai que ces derniers concernent une population de patients atteints, mais qui ne sont pas amenés, en théorie, à être retraités, sauf s'ils se réinfectent : a priori, ils sont guéris une fois traités. Le champ du cancer est différent puisque, chaque année, il y a 380 000 nouveaux malades à traiter, certains ayant besoin de plusieurs cures à différentes années d'intervalle. Cela pose la question de la régulation des prix à un niveau international, car aucun pays n'est actuellement en mesure de mener seul une réflexion et d'exercer une forme de régulation sur le prix des médicaments innovants. C'est la raison pour laquelle l'OCDE et, à ma connaissance, le G7, se sont emparés de ce sujet.

La France prend effectivement du retard en matière d'essais cliniques. Du fait des délais administratifs, notre pays est moins attractif que d'autres. Jusqu'à présent, la HAS n'avait pas de rôle dans les essais cliniques. La loi du 5 mars 2012 relative aux recherches impliquant la personne humaine, dite « loi Jardé », nous donne désormais l'obligation de rendre un avis conforme sur l'utilisation de médicaments, en dehors du champ de leur autorisation de mise sur le marché (AMM), dans un essai clinique. Le rôle que nous allons être amenés à jouer risque donc de retarder la promotion des essais cliniques. Mais je m'engage à ce que ce délai soit extrêmement court, en tout cas pas plus long que le délai dont dispose l'ANSM pour rendre son avis, de façon à ne jamais retarder la mise en place d'un essai clinique sur notre territoire. Pour avoir été l'investigatrice de très nombreux essais cliniques, je connais bien cette problématique. Je veillerai donc à ce que la France ne perde pas en compétitivité dans ce domaine. Les équipes le savent déjà. Nous nous organisons et nous recrutons des personnes pour répondre à la loi Jardé.

Vous avez parlé de la loi Bertrand et des difficultés que nous rencontrons pour trouver des experts. Mais cela ne signifie pas qu'il faille assouplir les règles, et nos concitoyens n'attendent pas de l'expertise sanitaire des règles plus souples vis-à-vis d'experts qui ne seraient pas indépendants. S'il est tout à fait légitime que des médecins travaillent avec des industriels pour développer de nouveaux médicaments, ils ne doivent pas être impliqués dans l'évaluation. La limite doit être claire entre ceux qui participent au développement et ceux qui évaluent. Aujourd'hui, je me bats pour valoriser l'expertise sanitaire, parce que toutes les agences sanitaires ont des difficultés à trouver des experts indépendants et que l'expertise au sein des agences n'est pas valorisée dans les carrières académiques. Pour cela, il faudrait que le Conseil national des universités (CNU) prenne en compte l'activité d'expert au sein d'une agence dans la valorisation de la carrière et dans les nominations. Je suis en discussion sur ce sujet avec les présidents d'université et le CNU. Si je parviens à contractualiser avec des équipes académiques pour nous aider à définir des recommandations de bonnes pratiques, cela permettra de repérer des experts indépendants susceptibles d'être valorisés dans leur carrière. Telle est la stratégie à moyen terme que j'essaie de développer avec le monde universitaire.

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