Intervention de Dominique Potier

Réunion du 11 janvier 2017 à 9h30
Commission des affaires économiques

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaDominique Potier, rapporteur :

Ce tour de table était édifiant. Je remercie ceux d'entre vous qui ont apporté leur appui sur le fond à cette proposition de loi en rappelant les enjeux qui prévalent sur leurs territoires. Fort naïvement, j'ai annoncé dans mon propos liminaire que le sujet suscitait la concorde entre nous ; ce n'est pas le cas. Je remercie donc tous ceux qui, à droite, ont défendu la propriété foncière en critiquant ce texte car, dans un moment où nous pourrions être saisis par le doute, ils renforcent considérablement ma motivation dans le combat de l'élection présidentielle. Et pour cause : décidément, nous ne parlons pas du même monde et n'avons pas les mêmes valeurs. Je le dis à regret, car il me semblait qu'un socle républicain, une maison commune pouvaient nous rassembler autour de la vision d'une certaine civilisation rurale, d'acquis de l'après-guerre qui me paraissaient solidement enracinés et d'une mémoire syndicale qui, je l'espère, vous habite encore, Monsieur Antoine Herth. En clair, j'espérais un relatif consensus. J'avais cru en voir le signe lorsque M. Daniel Gremillet, sénateur des Vosges – qui n'est pas un gauchiste – a déposé une proposition de loi formulée dans des termes identiques pour signifier son accord total sur le sujet. Je suis donc quelque peu déconcerté. Sans doute le sujet est-il en discussion chez vous, à droite, mais je décèle des propos fort inquiétants dont j'aimerais débattre.

L'accusation de bricolage n'est guère fondée : cette proposition de loi vise très simplement à reprendre des dispositifs qui ont été contrés pour les uns – le certificat phytosanitaire – par le Conseil d'État et pour les autres par le Conseil constitutionnel, qui ne jugeait pas opportun de les placer dans la loi Sapin II, quoi qu'on en pense sur le fond. Faire ce reproche reviendrait à assimiler à du bricolage les réunions interprofessionnelles approfondies – et saluées par toute la profession – que nous avons tenues, mais aussi les travaux de notre commission et le débat que nous avons eu avec Mme Catherine Vautrin, dont nous avons retenu certains des amendements pour parvenir au consensus, et même tout le travail de réflexion que nous menons depuis quatre ans sur les enjeux fonciers. Je récuse donc l'accusation de bricolage : cette proposition de loi vise certes à un rattrapage, à la suite de l'arrêt du Conseil d'État et à la décision du Conseil constitutionnel, mais c'est la marche législative normale.

Sur le fond, j'entends les arguments exposés par les députés de droite sur la propriété foncière. Ils sont vieux comme le monde ! Certains reprennent le débat philosophique de La Terre, d'Émile Zola ; d'autres celui qui, avant-guerre, a opposé les propriétaires terriens aux forces émergentes des jeunesses agricoles chrétiennes. Je constate surtout un retour en arrière par rapport au consensus national établi sous Edgar Pisani, c'est-à-dire un accord entre le monde du travail et le monde de la propriété qui place clairement le patrimoine foncier au service de la dynamique entrepreneuriale, de la souveraineté alimentaire, de la conquête des marchés agro-alimentaires et d'une agriculture familiale, coopérative ou encore associative, et qui contraint la propriété foncière par des lois sur le fermage et grâce à la création des SAFER. Autrement dit, la puissance publique régule et évite toute démesure tout en permettant aux exploitations de grandir et de se moderniser en respectant l'équilibre entre les uns et les autres. Ce consensus n'a été brisé que par quelques dispositions de « simplification » adoptées en son temps par la majorité précédente ; j'ignore si elles l'ont été de manière innocente ou calculée, mais elles ont eu des effets délétères sur le terrain.

Que l'on soit de droite ou de gauche, libéral, socialiste ou écologiste, nous pouvons tous faire le constat suivant : il y a aujourd'hui deux poids deux mesures entre les sociétés coopératives et les individus, qui sont sous le radar des SAFER et du contrôle des structures, et des « boîtes noires » qui passent à travers la loi et ses principes. Nous ne faisons qu'adapter le cadre juridique à ces sociétés, qui doivent être traitées de la même manière que les autres. Comment expliquer que sur un territoire donné, le cumul ou le dépassement des structures soit décrété pour un agriculteur possédant seul cent hectares alors qu'une société composée de deux actionnaires anonymes peut s'agrandir en tout impunité ?

Le présent texte contient des mesures de spécialisation de la propriété foncière, de notification – qui, si le décret avait pu être pris à temps, auraient permis de rendre visible l'opération de la multinationale chinoise dans l'Indre – et de transparence qui visent tout simplement à mettre les sociétés à égalité avec les autres propriétaires. Il ne s'agit pas de remettre en cause la propriété, mais de remettre au goût du jour l'accord national entre la propriété et le travail, qui était détourné, afin de l'adapter à la réalité des montages spéculatifs à l'oeuvre sur le terrain, qu'ils soient gaulois ou chinois – je ne cesse de le répéter pour éviter de donner le sentiment d'une stigmatisation de l'étranger, qui rejoindrait des combats par ailleurs nauséabonds. Je suis donc très étonné par vos propos qui m'inquiètent.

Certes, au-delà des dispositions prises dans la loi d'avenir, dans la loi Sapin II et dans cette proposition de loi, il faudra une grande loi foncière. Nous savons en effet que l'augmentation de 4 pour 1 000 du stockage de carbone dans l'humus aura une incidence sur le changement climatique. Nous savons aussi, comme l'a établi la Cour pénale internationale de La Haye en septembre 2016, que l'accaparement des terres à Madagascar, au Mozambique ou en Tunisie suscite désormais plus de violence et de misère que les guerres dans le monde. Ce problème émergent en Europe est mortifère dans les économies rurales et menace la souveraineté alimentaire de plusieurs régions du monde. C'est un sujet colossal. Est-ce à la loi de l'argent de réguler la propriété foncière, qui était à la fois social-démocrate et patrimoniale ? Le capitalisme financier cassera-t-il cette logique, qui a certes ses défauts et ses insuffisances mais qui appartient globalement à un socle civilisationnel auquel nous sommes attachés ?

Je dis ceci aux partisans de la « liberté » : vous pouvez défendre la propriété foncière, mais je crois qu'elle doit plutôt répondre à la logique du livret A qu'à celle du CAC40. C'est un choix politique : on ne saurait défendre la retraite des mondes paysans par la spéculation sur les coûts du foncier tout en demandant la relève des générations du monde agricole. Le moment viendra où il faudra choisir son camp. La retraite agricole, comme le sait bien M. Germinal Peiro, relève d'une autre dynamique que celle de la spéculation sur un bien immobilier hérité ; ne mélangeons pas tout, au risque de créer une confusion totale. Il faut à l'évidence faire un choix politique et un choix de civilisation ; je ne partage pas le vôtre. Si le choix de la liberté était fait, je défendrais celle d'entreprendre. En ce qui me concerne, j'ai trois associés qui ne viennent pas du monde agricole : sans des lois protectrices comme celle-ci, ils n'auraient jamais pu accéder au métier d'agriculteur. Je défends un modèle où tous ceux qui ont la vocation peuvent entreprendre, car nous partageons les droits à produire, mais je ne défends pas un modèle de la propriété et de la spéculation. Il faudra bien choisir dans quel camp et en faveur de quelle perspective politique nous sommes. Vous me motivez donc profondément pour le combat de l'élection présidentielle et j'en suis heureux, car si ces débats ne sont pas tranchés chez vous, j'ignore quel avenir du milieu rural se dessine. Je rappelle simplement que le prix du foncier agricole, qui reste maîtrisé en France, est un extraordinaire élément de compétitivité de nos exploitations et que toute dérive en la matière aura un effet délétère sur notre capacité à conquérir des marchés, voire à conserver le marché agricole intérieur.

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