Intervention de Danielle Auroi

Séance en hémicycle du 11 janvier 2017 à 21h30
Débat sur le socle européen des droits sociaux

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaDanielle Auroi, présidente de la commission des affaires européennes :

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, nous sommes réunis ce soir pour débattre de la convergence sociale et salariale dans l’Union européenne, sujet crucial pour l’avenir d’une Union très fragilisée. Je crois que je n’ai jamais entendu le mot « social » prononcé tant de fois en si peu de temps dans cet hémicycle et cela me ravit !

La commission des affaires européennes a fait de ce sujet une de ses priorités, depuis le début de notre mandat et tout au long de la présente législature. Ainsi, depuis 2013, nous avons examiné une dizaine de rapports sur les thèmes des travailleurs détachés, des qualifications professionnelles, du dumping social et de la concurrence déloyale, des stages et de l’emploi des jeunes, ou encore de l’assurance chômage et du salaire minimum européen, à l’initiative notamment de mes collègues Chantal Guittet, Gilles Savary, Michel Piron, Philip Cordery, Jean-Patrick Gille et Sophie Rohfritsch. Très récemment, mes collègues Jean-Patrick Gille, Sophie Rohfritsch et Philip Cordery nous ont présenté un rapport sur le socle européen des droits sociaux. Leur travail nourrit substantiellement nos débats de ce soir. Jean-Patrick Gille en a déjà fait une première présentation.

Les vingt-quatre propositions qu’il contient, présentées à notre commission le 6 décembre dernier, poursuivent des objectifs multiples : permettre une meilleure coordination économique, indispensable à la zone euro en particulier et à l’Union européenne dans son ensemble ; adapter le droit du travail à la protection sociale et aux nouvelles formes d’emploi liées à la numérisation de l’économie et au développement de la pluri-activité ; construire un marché du travail unifié et sans distorsion sociale, enfin lutter contre la pauvreté qui s’accroît tous les jours sur notre continent, en particulier en Allemagne.

Tous ces travaux partagent le constat que la construction européenne s’est jusqu’à présent faite essentiellement autour du marché unique, au travers de la suppression des entraves à la circulation des biens et des personnes, tandis que l’Union demeurait incapable de mettre en oeuvre la convergence sociale nécessaire à son bon fonctionnement.

Autrement dit, une construction européenne limitée au dogme de la concurrence libre et non faussée a échoué à être porteuse de progrès social et de protection pour les citoyennes et les citoyens européens les plus faibles et les plus exposés. Alors que le modèle socio-économique européen devait présenter une alternative équilibrée entre l’économie administrée et le libre-échange « sauvage », le « tout-économique » teinté de libéralisme qui s’est peu à peu imposé comme unique boussole du projet européen a eu pour effet de favoriser la casse des systèmes de protection et des filets de sécurité et de faire primer la concurrence sur la coopération et la compétition sur la solidarité.

De fait, tandis que les personnes, les marchandises, les services et les capitaux circulent librement en Europe, les divergences entre législations et systèmes nationaux créent des distorsions qui accroissent les inégalités et alimentent la méfiance et les tensions entre Européens. Les débats houleux que suscite le projet de révision de la directive sur le détachement des travailleurs sont à cet égard emblématiques. En effet, le dévoiement de cette directive, qui fait de certains travailleurs détachés, que ce soit dans le transport ou dans l’agriculture, les nouveaux damnés de la terre, prive d’emploi nombre d’artisans dans notre pays.

Pour faire marcher l’Union européenne sur ses deux jambes, les convergences sociale, salariale et même fiscale doivent constituer l’axe fort de notre travail et du travail des institutions européennes.

La Commission européenne, qui a lancé en mars dernier une consultation sur le socle européen des droits sociaux, l’a bien compris. Ces questions sont très sensibles parce qu’elles relèvent de prérogatives de souveraineté ou de choix de société reflétant des préférences collectives nationales souvent divergentes.

Aussi nous devons nous demander collectivement ce que nous, Européens convaincus, souhaitons encore accomplir ensemble. Dans cette perspective, nous devons penser la convergence sociale progressiste comme un horizon que l’Europe doit se fixer et dont la concrétisation viendrait nourrir un projet renouvelé, sourd aux chants des sirènes nationalistes de tous bords.

Pour ce faire, nous devrons notamment répondre à la question suivante : comment parvenir à un véritable socle commun de droits sociaux qui fasse de l’Union européenne un ensemble socialement intégré et plus homogène ? C’est un choix politique. Il s’agira de donner à l’Europe sociale l’impulsion qui lui manque aujourd’hui et de parvenir à des réalisations suffisamment ambitieuses pour que l’harmonisation sociale ne soit pas synonyme de « convergence vers le bas », en particulier concernant les piliers de l’architecture sociale européenne que sont le salaire minimum et les systèmes d’assurance chômage.

L’autre question délicate est celle de la révision de la directive sur le détachement des travailleurs. Malgré le « carton jaune » que onze pays lui ont opposé, nous devons continuer à réfléchir ensemble à la manière de renforcer les conditions d’une coopération constructive et de lutter contre les dérives actuelles, qui conduisent non seulement à l’exacerbation d’une concurrence illégale mais à des situations d’esclavage moderne, que nous avons maintes fois dénoncées.

Nous avons aujourd’hui, mes chers collègues, l’occasion d’apporter une modeste pierre à cet édifice. J’espère que nos débats et les propositions qui en ressortiront seront étudiées avec soin par la Commission européenne comme par le Conseil, tant en ce qui concerne les travaux relatifs au socle européen des droits sociaux que la révision de la directive sur le détachement des travailleurs.

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