Intervention de André Chassaigne

Séance en hémicycle du 13 décembre 2016 à 15h00
Déclaration de politique générale du gouvernement débat et vote sur cette déclaration

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaAndré Chassaigne :

La loi Macron est venue étoffer cette série noire législative, avec en prime le coup de force démocratique et le premier usage de l’article 49-3, preuve que le libéralisme économique se marie mal avec le principe du pluralisme politique et du débat démocratique. Derrière l’apparence d’un fourre-tout, ce texte portait un message clair reposant sur une doctrine cohérente. L’abandon du ferroviaire au profit de sociétés privées d’autocars, l’affaiblissement du service public de la justice au profit de cabinets à l’anglo-saxonne, l’abandon des commerces de proximité au profit du développement de la grande distribution, l’extension du travail dominical, la privatisation de la gestion de nos aéroports au profit de sociétés étrangères domiciliées dans des paradis fiscaux, ou encore l’allégement des obligations patronales en matière de licenciements économiques : autant de coups portés à notre modèle social afin de privilégier une logique de déréglementation tous azimuts, frappant aussi bien les marchés des biens et services que le marché du travail et la protection sociale.

Ultime trahison d’un pouvoir présidentiel soumis aux marchés financiers : la loi travail qui représente la plus importante régression de notre droit social depuis des décennies. Si, demain, la droite s’installe au pouvoir, elle pourra s’appuyer sur ce texte pour parachever la quadrature du cercle, pour boucler la boucle. Sur ce texte indigne, le Gouvernement est passé en force, méprisant la mobilisation sociale exceptionnelle partout dans le pays. François Hollande, Manuel Valls et leur majorité portent ici une responsabilité historique car ce sont ces choix qui ont fracturé la gauche dans toutes ses composantes. Au-delà de la fracture de la gauche, c’est un gouffre qui se creuse entre le peuple et ses dirigeants, en France comme en Europe et outre-Atlantique. Les votes intervenus aux États-Unis, au Royaume-Uni et en Italie en sont la parfaite illustration. Ils appellent à reconsidérer en profondeur le fonctionnement de nos institutions afin de juguler le phénomène de confiscation du pouvoir par les intérêts des grandes firmes multinationales.

Le changement de majorité, en 2012, offrait l’espoir d’un changement dans la conduite des affaires internationales. Il était temps, en effet, de rompre avec la politique menée sous le quinquennat de Nicolas Sarkozy, dont nous payons encore aujourd’hui les dérives et les échecs. Pourtant, la France n’a pu retrouver sa voix sur la scène internationale et notre diplomatie, sa crédibilité. Ses errements, notamment au Moyen-Orient, et ses liens avec les pétromonarchies nourrissent les logiques de guerre. La dérive atlantiste s’est renforcée. La France n’est plus dans le monde cet acteur singulier oeuvrant pour la paix et les peuples, et nous en payons malheureusement le prix fort en contribuant au chaos sur lequel prospère Daech. Monsieur le Premier ministre, notre pays a connu des événements tragiques et vous avez eu la lourde tâche de les affronter en première ligne. Pourtant, le choix de reconduire indéfiniment le régime d’exception de l’état d’urgence n’est pas la réponse pour prévenir de manière pérenne la menace terroriste qui pèse sur notre pays. Nous aurons l’occasion d’y revenir ce soir.

Dans ces circonstances, et malgré ce triste bilan, les élus du Front de gauche restent mobilisés. Nous continuons sans relâche de faire entendre la voix des sans voix, pour que soient respectés les principes et valeurs de la gauche. Nous restons fidèles à nos engagements, ceux d’une gauche mue par les valeurs de justice sociale, de développement durable et de solidarité internationale. Une ligne morale et politique pleinement assumée durant toute la législature et qui s’est traduite à la fois par une série d’initiatives et propositions législatives, mais aussi par un travail permanent de contrôle politique de l’action gouvernementale allant jusqu’à censurer le Gouvernement pour rejeter les textes les plus régressifs. Cependant, persuadés, comme le poète René Char, qu’« il faut souffler sur quelques lueurs pour faire de la bonne lumière », nous avons voté les textes, trop rares, qui allaient selon nous dans le bon sens. Malheureusement, le compte n’y est pas. Nous restons pourtant convaincus qu’une alternative progressiste à la politique actuelle est possible. Elle exige une lutte déterminée, créative et rassembleuse contre le capital financier, avec des propositions cohérentes au service du mouvement social. Par le rassemblement le plus large, cette lutte – et elle seule – pourra permettre à la gauche de faire barrage à une droite et une extrême droite revanchardes et réactionnaires.

C’est donc avec responsabilité que les députés du Front de gauche refusent de voter la confiance à votre Gouvernement. Oui, avec responsabilité et en semant les graines d’une gauche de transformation de la société, à laquelle nous croyons toujours. Puisque nous sommes aujourd’hui même au soixante-dixième anniversaire de l’édition française du Petit prince de Saint-Exupéry, je terminerai avec cette belle citation : « Les graines sont invisibles. Elles dorment dans le secret de la terre jusqu’à ce qu’il prenne fantaisie à l’une d’elles de se réveiller. »

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