Intervention de Meyer Habib

Séance en hémicycle du 8 décembre 2016 à 9h30
Prise en charge de l'autisme — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaMeyer Habib :

Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, c’est avec beaucoup de gravité que nous examinons aujourd’hui la proposition de résolution déposée par nos collègues du groupe Les Républicains.

Les maladies mentales en général et l’autisme en particulier posent souvent des questions difficiles sur des sujets tabous qui ont été trop longtemps confinés au cercle familial. Le plus souvent, les familles effondrées ne savaient pas mettre un nom sur ce qui n’allait pas chez leur enfant, tandis que l’État et la puissance publique fermaient les yeux.

Pour l’instant, hélas, l’autisme n’est pas un trouble dont on peut guérir, mais bien une maladie invalidante avec laquelle on apprend à vivre. Cette phrase lourde de sens nous permet de ne pas oublier que les enfants détectés autistes deviennent ensuite des adultes, avec autant, sinon plus, de difficultés à s’intégrer. La responsabilité collective de leur prise en charge se pose donc.

Heureusement, depuis près de dix ans, le traitement des personnes souffrant d’autisme a fait d’indéniables progrès en France. Il aura d’abord fallu attendre la loi Chossy pour assurer une prise en charge mieux adaptée aux personnes autistes et reconnaître officiellement l’autisme comme un handicap, puis le lancement de plans successifs pour améliorer la prise en charge des personnes autistes. L’attribution du label « grande cause nationale » à l’autisme en 2012 a ensuite permis de lui donner une visibilité, tant institutionnelle que médiatique.

Malgré ces avancées, la prise en charge des maladies mentales en général et de l’autisme en particulier reste encore très défaillante dans notre pays. Les témoignages des familles sont glaçants et racontent souvent le même parcours, marqué par des défauts d’accompagnement et un sentiment de grande solitude. Il est temps de définir des priorités de prise en charge et de soutien aux familles.

Au sein du groupe UDI, nous estimons en premier lieu que les difficultés rencontrées par les familles pour obtenir un diagnostic ne doivent plus exister. Le récent rapport de l’IGAS sur le fonctionnement des centres ressources autisme, ces centres experts régionaux qui assurent notamment le diagnostic des troubles autistiques, est très sévère et appelle de nouvelles réponses.

La mission confirme d’abord le manque de statistiques pertinentes en France dans le domaine de l’autisme, notamment sur le nombre de personnes concernées. La proposition de résolution évoque 600 000 autistes en France, tandis que l’INSERM recense entre 300 000 et 500 000 personnes atteintes d’un trouble envahissant du développement, dont 60 000 personnes autistes. Sur un sujet aussi grave, il nous faudrait au minimum une information chiffrée la plus complète possible.

L’évaluation de l’IGAS démontre ensuite l’hétérogénéité du fonctionnement des CRA – centres de ressources autisme – avec des disparités concernant la formation des spécialistes. Nous sommes bien conscients que le diagnostic et le bilan précédant la découverte de l’autisme nécessitent les compétences de plusieurs types de professionnels, le recours à des échelles d’évaluation, et que cela occasionne des délais.

Néanmoins, nous estimons qu’il s’écoule beaucoup trop de temps entre la demande et la restitution du bilan, puisque le rapport de l’IGAS évoque en moyenne plus d’un an. Il nous faudrait accélérer cette détection, d’autant plus qu’une intervention précoce sur le développement d’enfants atteints de troubles autistiques améliore non seulement les compétences sociales, mais améliore aussi leur activité cérébrale.

Enfin, n’oublions jamais que derrière l’attente du résultat, il y a le désarroi des familles en souffrance. Notre devoir absolu est de penser d’abord à elles. Pour ces raisons, j’ai proposé au Président de la République, en octobre 2016, de soutenir le projet de la Fondation FondaMental, présidée par David de Rothschild, consistant à créer l’Institut de médecine personnalisée en psychiatrie, porté par le Professeur Marion Leboyer, éminente psychiatre et généticienne.

L’Institut FondaMental aura pour missions notamment de découvrir des biomarqueurs permettant un diagnostic précis et le plus tôt possible ; de mettre en oeuvre une médecine personnalisée en psychiatrie, avec des parcours-patient interdisciplinaires, dans une structure adaptée ; de proposer un suivi personnalisé hors de l’hôpital grâce aux outils d’e-santé, pour un accompagnement du patient et des familles sur le long terme.

C’est en effet souvent le manque criant de moyens financiers et de structures adaptées qui contraint ensuite ces mêmes familles d’enfants handicapés, et notamment autistes, à se tourner vers des établissements en Belgique.

En octobre 2015, suite à la mobilisation de nombreux parlementaires sur ces bancs, le Gouvernement a finalement annoncé un fonds d’amorçage de 15 millions d’euros pour stopper ces départs et améliorer la prise en charge de proximité, mais les moyens manquent encore pour soutenir les initiatives locales. Je profite d’ailleurs de ce texte, madame la secrétaire d’État, pour vous demander quel est le premier bilan de ce fonds un an après sa mise en place.

S’agissant à présent du contenu de la proposition de résolution, nous avons pris connaissance des critiques dont fait l’objet ce texte. Aussi tenons-nous, nous aussi, à souligner que nous n’entendons nullement remettre en cause le travail remarquable accompli par les praticiens engagés dans le traitement de cette pathologie.

Soyez assurés que la mise en oeuvre de bonnes pratiques ne doit pas conduire in fine à une forme d’ingérence dans la pratique quotidienne des professionnels. En 2012, la Haute Autorité de santé, autorité indépendante, avait déclaré dans ses recommandations de bonnes pratiques sur l’autisme et les troubles envahissants du développement chez l’enfant et l’adolescent que la psychanalyse est une pratique non consensuelle.

Dans le même temps, la Haute Autorité de santé a affirmé son opposition à l’utilisation de la pratique du packing, en dehors des protocoles de recherche autorisés, respectant la totalité des conditions définies par le Haut Conseil de la santé publique. Nous reconnaissons ces recommandations, mais devant la complexité du sujet, nous regrettons que cette proposition de résolution n’ait pas été davantage précédée d’une concertation avec l’ensemble des professionnels de santé et des associations de familles.

Seules la pluralité et la confrontation des points de vue sont garantes, selon nous, d’une prise en compte globale de ce handicap. Nous estimons par ailleurs que les démarches préconisées par la Haute Autorité de santé ne sont pas applicables uniformément et dépendent en priorité du contact entre le professionnel de santé et son patient.

Les troubles du spectre autistique sont complexes et variés, et le médecin doit garder sa liberté de prescription afin d’adapter son traitement à chaque patient, en n’excluant aucun type de prise en charge. Enfin, nous considérons qu’au-delà du traitement médical, il est important que le regard sur l’autisme change.

Aujourd’hui, les personnes atteintes de ce handicap subissent une discrimination quotidienne : peu ont accès à l’école, aux loisirs, au travail ou aux mêmes droits que les autres en général.

En France, les associations estiment qu’à peine 20 % des enfants et adolescents autistes sont scolarisés en milieu ordinaire. Alors que cette situation a été dénoncée par le Conseil de l’Europe, d’immenses progrès doivent être accomplis chez nous et accompagnés par la puissance publique. Des expériences concluantes dans plusieurs territoires doivent nous encourager à une meilleure inclusion. Je pense notamment à l’insertion des personnes autistes par le travail grâce à un accompagnement éducatif et social et à un hébergement.

Mes chers collègues, bien que nous soutenions l’objectif poursuivi par les auteurs de la proposition de résolution, nous ne souhaitons pas qu’il y ait une quelconque interférence politique dans le contenu des soins et à ce titre, nous ne la voterons pas.

Avant de rendre la parole, permettez-moi de dire quelques mots encore plus généraux sur la politique de santé mentale, laquelle reste le parent pauvre de notre politique de santé. Je vous rappelle que 2 % seulement du budget de la recherche biomédicale sont consacrés à la psychiatrie, alors qu’on estime que les maladies mentales concernent près d’un Français sur cinq et sont à l’origine de près de 12 000 suicides par an et plus de 220 000 tentatives. Commençant très tôt chez les jeunes adultes, entre quinze et vingt-cinq ans, et même avant trois ans pour l’autisme, elles nécessitent une approche intégrée et inscrite dans la durée. Si le coût socio-économique – 109 milliards d’euros par an ! – révèle par lui-même l’ampleur du défi, il ne rend pas compte de la souffrance des patients et de leurs proches en proie à une très grande solitude, une stigmatisation persistante et, souvent, une profonde détresse psychologique.

Il faut agir vite. C’est pourquoi j’appelle à une réflexion commune sur la mise en place, peut-être, d’un groupe d’études à l’Assemblée nationale sur les maladies psychiatriques.

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