Intervention de Jean-Yves le Drian

Réunion du 16 novembre 2016 à 16h00
Commission de la défense nationale et des forces armées

Jean-Yves le Drian, ministre de la Défense :

Affirmer que l'armée française a pris part au génocide est un mensonge indigne, que je ne tolérerai jamais. Faut-il rappeler que, seule parmi les membres de la communauté internationale, la France a pris toutes ses responsabilités et engagé avec courage ses forces sur le terrain contre la barbarie ? C'est le devoir de vérité, et lui seul, qui nous permettra de panser les blessures du passé.

Monsieur Vitel, en Libye, la situation s'améliore, dans la mesure où ne subsistent de Daech que quelques noyaux durs, restreints, mais composés de personnes capables de tout. Cependant, la stabilisation politique est un impératif de sécurité pour l'ensemble de la région. À l'est, on peut penser ce que l'on veut du général Haftar, mais la stabilité est assurée. Tel n'est pas le cas à l'ouest, car Sarraj tarde à s'imposer, y compris à Tripoli, et c'est inquiétant, en particulier pour la Tunisie. Notre rôle est de faire en sorte qu'un accord soit conclu entre Sarraj, dont l'autorité est reconnue au plan international, et le général Haftar, afin que puisse être formé un gouvernement validé par le parlement. J'ajoute qu'il faut être extrêmement vigilant quant à la situation qui prévaut au sud ; c'est la raison pour laquelle nous y menons des opérations de renseignement. Les déploiements de la force Barkhane nous permettent, du reste, d'exercer une vigilance accrue. Par ailleurs, l'opération Sophia peut maintenant prendre un tour meilleur puisque nous avons désormais le droit d'interpeller les trafiquants d'armes. Un problème reste néanmoins à régler puisque le port de Marseille, dont nous avons proposé qu'il soit le port de déroutement, est éloigné ; il faudrait donc disposer d'un autre port de déroutement pour pouvoir mener à bien les opérations. Cependant, le dispositif est à l'oeuvre, et nous avons en permanence un bateau sur zone.

Monsieur Léonard, j'ai dû reporter à plusieurs reprises mon déplacement à Charleville-Mézières en raison de l'actualité, mais ce déplacement figure parmi les visites à l'armée de terre que je compte effectuer en priorité, et j'espère bien pouvoir m'y rendre avant la fin du quinquennat.

En ce qui concerne le transport tactique et l'A400M, nous avons rencontré des difficultés liées notamment aux capacités tactiques, puisque, contrairement aux engagements qui avaient été pris, les premiers avions que nous avons reçus n'étaient pas équipés pour l'autoprotection, le largage de charges et de parachutistes et le posé sur des terrains sommaires. S'y est ajouté le problème des boîtiers transmetteurs de puissance, les PGB (Propeller gear box), que plusieurs d'entre vous ont évoqué, à juste titre, lors du débat budgétaire. Je vous avais alors fait part de mon irritation, pour ne pas dire plus, face à cette situation.

Au cours de l'année 2015, j'avais demandé à Tom Enders que nous soient livrés, avant la fin de l'année 2016, six A400M parfaitement aux normes en matière de capacités tactiques et – je le lui ai indiqué plus tard – équipés de PGB ne présentant pas de difficultés techniques, car ces boîtiers imposaient une immobilisation des A400M au bout d'une vingtaine d'heures de vol, ce qui est catastrophique. Cette situation invraisemblable avait donc provoqué une crise. J'ai rencontré Tom Enders ce matin avec mes collaborateurs, et cette réunion nous permet de penser que les engagements pris par Airbus seront tenus, de sorte que nous pourrions disposer, à la fin de cette année, de six A400M dotés des capacités tactiques que j'ai évoquées et d'un transmetteur de puissance de nouvelle génération, ou rénové. Celui-ci permettrait d'éviter des immobilisations aussi fréquentes qu'auparavant, puisqu'elles interviendront après 650 heures de vol. Quant au reste de la flotte, il devrait nous être livré, selon les engagements pris par M. Enders ce matin, dans le courant du premier semestre 2017. L'expression de mon mécontentement a donc payé, mais je suis comme saint Thomas. Pour l'instant, nous avons deux avions sur six, et le troisième va arriver. M. Enders a fait preuve d'une grande détermination et je veux croire en sa totale bonne foi. La réunion qui s'est tenue ces deux derniers jours à Bruxelles a été positive de notre point de vue, puisque quasiment toutes les propositions de la France et de l'Allemagne – soutenues par l'Italie et l'Espagne, puis par la République tchèque et la Finlande, notamment – ont été validées à l'unanimité, y compris, donc, par les Britanniques et les Polonais. Parmi ces propositions figurent une série de mesures que nous souhaitions pouvoir appliquer rapidement, notamment dans le domaine opérationnel. Je pense à la modularité des groupements tactiques de l'Union européenne, destinée à renforcer leur souplesse de déploiement, à la planification européenne des opérations liées à la politique de sécurité et de défense commune (PSDC), et à la mise en oeuvre de deux systèmes de financement. La rénovation du système Athena, que je réclame depuis quatre ans et demi, a ainsi été validée ; elle nous permettra d'être plus rapides en cas de crise. Grâce à l'ensemble du dispositif adopté, nous pourrons accélérer la génération de forces et inciter les acteurs à y participer rapidement. Nous avons également obtenu une préfiguration des unités susceptibles d'être engagées dans une opération rapide. Dans cette perspective, nous avons mis en avant l'Eurocorps, avec les pays qui en font partie, notamment l'Allemagne, l'Espagne, le Luxembourg et la Belgique, ainsi que ceux qui veulent y participer.

Toutes ces mesures ont été validées, y compris, donc, la rénovation du dispositif Athena et le financement supplémentaire des opérations que nous menons dans le cadre de la PSDC. Seraient concernées, aujourd'hui, les opérations EUTM RCA et EUTM Mali, par exemple.

Ont également été validées, dans le domaine des capacités, l'extension des investissements de la Banque européenne d'investissement (BEI) à l'industrie de défense, la mise en oeuvre de ce que l'on appelle l'action préparatoire, c'est-à-dire le financement par le budget européen de programmes de recherche liés uniquement à la défense – il est vraisemblable que le programme retenu sera l'hélicoptère « dronisé » – et l'inscription, dans le programme européen 2021-2027, d'un dispositif spécifique de recherche dans le domaine de la défense, qui sera anticipé par l'action préparatoire décidée dans le cadre du plan d'action que je viens d'évoquer. J'ajoute que le principe du fonds européen de défense annoncé par le président Juncker, repris par le président de la République et, d'une autre manière, par Thierry Breton, a également été validé par les Vingt-huit ; il faut maintenant en définir le contenu, mais tout un ensemble de dispositions financières a été décidé, qu'il n'était pas évident d'obtenir.

Ces décisions seront reprises par le Conseil européen de décembre. Il s'agit d'une avancée qualitative d'autant plus significative que le concept d'autonomie stratégique de l'Union européenne a été affirmé et constitue la ligne de force de l'ensemble du document. Celui-ci a été validé, je le précise, en présence du secrétaire général de l'OTAN, qui a souligné la complémentarité de l'action de l'Europe de la défense en cours de constitution et des conclusions du sommet de Varsovie. Je tiens à votre disposition les documents qui vous permettront de comprendre comment tout cela s'est passé. Du reste, le Parlement européen devra valider quelques points, mais c'est en bonne voie. Une véritable volonté a été affirmée et les réserves qui ont pu se manifester ont été gommées.

Monsieur de La Verpillière, la première question qui se pose, à propos du jour d'après, est de savoir qui gardera la ville lorsque ses occupants se seront retirés. À Mossoul, ce seront les forces de police irakiennes, formées à cet effet, comme ce fut le cas également à Ramadi. Ensuite, les diplomaties qui sont intervenues, notamment les diplomaties française et américaine, ont convenu – conformément, je crois, à la volonté du Premier ministre irakien et sans doute aux bons accords qui ont fini par être conclus entre ce dernier et le président Barzani – que sera constitué une gouvernance de l'ensemble de la région de Ninive qui permettra d'assurer le respect des différentes communautés. Jusqu'à présent, je n'ai aucune raison de mettre en doute le processus. Certes, je pourrai mieux apprécier la situation lorsque je me rendrai sur place mais, miraculeusement peut-être, ce processus se déroule conformément à nos souhaits. Je précise cependant que cela implique toute une série de lignes rouges à ne pas franchir doit être tracée pour éviter des perturbations secondaires. La vigilance s'impose donc, mais tout se déroule bien, y compris la planification, même si – les images de télévision montrent parfois un peu d'euphorie – les combats sont très durs : on dénombre plusieurs centaines de morts de chaque côté.

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