Intervention de Rémy Rioux

Réunion du 12 octobre 2016 à 9h45
Commission des affaires étrangères

Rémy Rioux, directeur général de l'Agence Française de Développement :

Nous devons donc faire ce travail.

Plusieurs événements se tiendront lors de cette semaine que nous organisons au début du mois de décembre : un petit colloque historique, un colloque académique autour de la notion de « commun », une journée sur les enjeux économiques des outremers, nous parlerons du climat. Ces événements vont monter en puissance au cours de la semaine, et nous espérons qu'ils culmineront le 6 décembre au soir, au Quai Branly, avec l'expression de cette histoire, de ce que nous sommes, de cette identité.

C'est là que j'exposerai les grandes lignes de notre nouveau projet stratégique, compte tenu de tous les avis que j'aurai recueillis. Le Président de la République sera là et expliquera l'orientation qu'il souhaite donner à l'agence et à son nouveau projet.

C'est aussi en cette occasion que nous envisageons de signer la convention d'alliance entre l'AFD et la Caisse des dépôts. J'ai rencontré Pierre-René Lemas hier ; les travaux avancent bien. Nous parlons de ce projet depuis longtemps et j'étais déjà venu vous faire le point en début d'année. Nous travaillons très activement, et nous allons exprimer cela dans un texte qui sera substantiel et ambitieux. Ce partenariat recouvre beaucoup de dimensions, que j'avais explorées dans mon rapport de début d'année.

Nous allons travailler à aligner nos stratégies, autour de la notion de transitions, qui me séduit beaucoup. La Caisse des dépôts, son établissement public et ses filiales, se sont réorganisées autour de quatre transitions, auxquelles j'en ajouterai une cinquième.

La première est la transition démographique. Il faut assumer ce mot, et y inclure les secteurs sociaux, en France avec la Caisse des dépôts et au plan international. Viennent ensuite la transition technologique et numérique, et la transition territoriale, parce que les objectifs de développement durable trouvent toute leur pertinence au plan territorial. S'y ajoute la transition énergétique, climatique.

S'agissant de l'AFD, il existe une cinquième transition, que j'appellerai transition politique et citoyenne. Dans cette priorité stratégique, je place notre action dans les pays en crise et notre action en gouvernance, domaine dans lequel nous allons nous développer. Nous devons mener des actions que la Caisse des dépôts ne conduit pas en France dans des pays où parfois, tout est en désordre. Très modestement, mais avec constance, nous devons assumer cette mission.

Nous prévoyons aussi un très important volet sur les ressources humaines avec la Caisse des dépôts, et des plans d'action. Nous allons rapprocher nos réseaux pour qu'ils dialoguent efficacement dans les territoires que vous représentez et à l'étranger.

Nous allons aussi bâtir des instruments financiers. Nous travaillons sur un fonds pour les infrastructures en Afrique que le Président de la République avait annoncé, qui sera doté de 500 millions d'euros, afin de retrouver un instrument d'intervention en fonds propres dans un certain nombre de schémas sur lesquels la France est aujourd'hui un peu dépourvue d'instruments financiers. Si nous arrivons à profiter un peu de l'énergie et des financements de la Caisse des dépôts, avec ceux que l'AFD mettra à disposition, nous aurons progressé.

La suite concerne l'année 2017. L'échéance suivante sera le plan d'orientation stratégique que nous allons élaborer en interne à l'AFD et partager avec vous, qui aboutira à un contrat d'objectifs et de moyens avec l'État fixant la trajectoire jusqu'en 2020.

Permettez-moi de vous dire un mot des briques de notre projet stratégique, ce qui me permettra d'exposer ce que j'ai fait depuis la dernière fois que nous nous sommes vus.

S'agissant des territoires d'intervention, notre projet donnera la priorité́ à̀ l'Afrique, à toute l'Afrique. Je pense que la rupture entre Afrique subsaharienne et Afrique du Nord n'est plus dicible vis-à-vis de nos partenaires africains, même si des spécificités demeurent. L'AFD s'honorerait d'être la première institution non-africaine à considérer l'Afrique comme un tout, ce qui n'est le cas ni de la Banque mondiale, ni du Fonds monétaire international, ni de l'Europe, ni d'aucun bailleur de fonds.

Je suis allé́ en Côte d'Ivoire, au Cameroun, deux fois au Sénégal, au Tchad ; j'irai le mois prochain au Ghana, au Togo, en Côte d'Ivoire à nouveau. Je veux être le premier à aller en Tunisie auprès du nouveau gouvernement, dès la semaine prochaine. Nous pensons aussi beaucoup aux Comores et à Mayotte, et j'en ai senti les effets jusqu'à la Réunion, où je me suis rendu au mois de juillet. Nous avons cette responsabilité particulière, et nous voulons en prendre toute notre part, car il y a des difficultés très fortes en Afrique, mais aussi un potentiel et un dynamisme tout à fait prodigieux. À ce sujet, Jean-Michel Severino a publié un livre et une grande rencontre a eu lieu récemment au Conseil économique, social et environnemental.

La deuxième catégorie de territoires d'intervention est l'outremer. Ils constituent le pont, dans l'activité de l'AFD, entre les enjeux nationaux et internationaux. Le directeur général de la santé, qui venait me parler du grand international, fut très surpris lorsque nous lui avons expliqué que l'Agence française de développement sait parfaitement comment fonctionne un CHU français, puisque nous en finançons depuis longtemps dans les territoires ultramarins. Notre institution peut faire des liens entre notre expérience du développement national et celle des autres.

Bien sûr, je suis allé au Vietnam, je vais en Amérique Latine cette semaine, nous n'oublions pas les autres régions du monde, qui sont moins importantes dans l'activité de l'Agence mais dans lesquelles nous sommes attendus. Pour nos ambassades, nous y sommes un élément d'influence et d'action de plus en plus important.

Depuis mon arrivée, je m'emploie à rencontrer systématiquement tous les partenaires de l'agence et à activer tous les partenariats. Je le fais dans les pays que je visite, mais aussi beaucoup en France, et d'abord auprès de vous. Au-delà de cette audition, je suis à la disposition de chacun d'entre vous pour échanger sur notre action. Je le fais aussi auprès de la société civile : je vais voir Coordination Sud et Solidays. Je le fais également auprès des entreprises, il semble que j'ai été le premier directeur général de l'AFD à me rendre à l'université d'été du MEDEF. J'y suis allé avec grand plaisir, et j'y ai tenu un discours très simple : nous n'allons pas faire 12 milliards d'euros d'activité en 2020 en inventant les projets tous seuls, ce sont nos partenaires du Sud et ceux qui investissent dans ces pays qui vont créer les projets que nous devons être en mesure d'accompagner. Nous travaillons aussi beaucoup avec les institutions financières du Sud, les autres banques de développement.

Jusqu'à présent, nous n'avons pas suffisamment travaillé avec les régions françaises. J'ai commencé – peut-être parce que le Général de Gaulle en était originaire – par les Hauts-de-France. Chaque fois que nous faisons un déplacement, ce n'est pas à la va-vite : nous sommes restés deux jours à Lille et à Roubaix, dans l'idée de rencontrer tous les acteurs qui contribuent à cette politique. Nous avons été formidablement accueillis par les élus qui s'occupent de coopération décentralisée, les ONG, les entreprises. Ils étaient un peu surpris de nous voir, mais dans cette période de grand stress budgétaire pour tous ceux qui agissent dans ce domaine, ils étaient satisfaits de constater qu'il existe une institution à Paris qui s'occupe du développement et qui souhaite renforcer ses instruments et ses actions pour les appuyer, et éviter que ce pan très important de la coopération française, qui en constitue une spécificité, ne s'affaiblisse trop dans la période actuelle, et que nous repartions à l'offensive.

Le premier objectif de ce déplacement en région était donc de donner un signal à tous ceux qui s'intéressent à la politique de développement, mais ces déplacements servent une autre ambition pour moi : aller voir ceux qui ne s'y intéressent pas et essayer de les convaincre de notre efficacité et de notre motivation. Je souhaite aussi aller à la rencontre d'acteurs qui n'ont pas l'habitude d'échanger avec nous.

Je l'ai fait à Lille, je le ferai le mois prochain à Strasbourg, nous préparons un déplacement à Lyon au mois de décembre, mais nous n'avons pas encore toutes les réponses - n'hésitez pas si vous pouvez nous y aider. Nous irons bien sûr à Marseille, où l'agence est implantée avec le CEFEB (Centre d'études financières, économiques et bancaires), à Bordeaux, notre idée est d'aller dans chaque région de France dans les prochains mois.

Cette dimension pédagogique, de fenêtre sur le monde permettant d'apporter en France l'expérience que nous avons glanée dans le reste du monde, doit être reconnue comme une mission de l'AFD. Ce n'est pas le cas aujourd'hui, et j'aimerais qu'elle figure dans nos statuts à l'avenir, en complément de notre action à destination de l'étranger qui demeure bien sûr le coeur de notre travail.

Il faut que nous cultivions les points forts de l'AFD et que nous restions très présents sur ces aspects : le climat, le secteur privé et plus largement le non-souverain, y compris le non-souverain public. J'ai constaté en Afrique que beaucoup de pays reviennent dans des limites d'endettement public préoccupantes, et il y a un vrai enjeu de modernisation des entreprises publiques, de partenariats publics-privés, et d'entraînement du tissu économique. La communauté internationale travaille mal sur ce sujet. Des investisseurs peuvent venir installer des énergies renouvelables en Afrique, Jean-Louis Borloo y travaille beaucoup et il y a aussi des initiatives internationales. De l'initiative privée va se développer. Mais si ensuite, la compagnie d'électricité qui rachète l'électricité produite fonctionne de façon dramatique, est mal gouvernée, sous-capitalisée, les investisseurs privés ne viendront pas ou repartiront. C'est tout un système, et cela vaut pour l'électricité comme pour d'autres domaines, qu'il faut renforcer. Et il faut prendre le risque de ne pas toujours demander la garantie souveraine de l'État concerné, pour ne pas replonger ces pays dans une crise de la dette dont ils sortent à peine.

Ce sont nos points forts actuels, nous allons essayer d'en bâtir de nouveaux d'ici à 2020. Nous sommes assez novices dans le domaine du numérique. Nous avons lancé une consultation pour comprendre ce que signifie numérique et développement dans ces pays. Nous avons aussi lancé un concours avec BpiFrance – autre élément de rapprochement avec la Caisse des dépôts – qui s'adresse à la French Tech et aux startups africaines. Les lauréats seront récompensés lors du sommet Afrique-France de Bamako afin de donner une incarnation à cette priorité numérique. La gouvernance est également un sujet nouveau pour nous, sur lequel nous voulons être très actifs et très ambitieux, tant sur la gouvernance sectorielle que sur la gouvernance des fonctions régaliennes des États dans lesquels nous intervenons.

Les États en crise enfin constituent un grand sujet de préoccupation pour nous. Depuis mon arrivée, j'ai rencontré à deux reprises le chef d'état-major des armées, qui a pris position dans la presse sur ces sujets. J'ai noté que la Chancelière allemande a tenu en Afrique un discours très fort ces derniers jours, comme l'a fait le Président de la République, sur les liens entre sécurité et développement. Ces deux instruments doivent être utilisés au service des objectifs politiques fixés par nos autorités. Le général de Villiers, qui a vécu les atermoiements et les difficultés de la crise afghane, en est très conscient. Chaque instrument doit être pleinement dans son rôle, mais de manière étroitement coordonnée, en intervenant très tôt dans les crises et en déployant ses activités de façon commensurable, c'est-à-dire afin d'avoir un effet. En plus de mes deux rencontres avec le général de Villiers, je suis allé voir la force Barkhane à N'Djamena, j'ai vu les forces françaises du Sénégal, nous avons invité hier devant notre comité de direction Jean-Marie Guéhenno, qui préside maintenant l'International Crisis Group, avec lequel nous avons passé un partenariat. Nous sommes associés aux exercices d'alerte précoce que le ministère des affaires étrangères pilote. Serge Michailof et Olivier Lafourcade sont venus à plusieurs reprises plaider cette priorité. Serge Michailof est notre ancien directeur des opérations, nous dialoguons beaucoup avec lui. Nous allons également chercher à Bruxelles et à la Banque mondiale les moyens nécessaires pour intervenir dans ces zones très difficiles.

Nous avons proposé la création d'un instrument dédié pour sanctuariser des moyens sur ces sujets. Aujourd'hui, ces moyens nous sont comptés et nous sommes en deçà du seuil de signification. Cela ne veut pas dire que nous allons tout faire au niveau bilatéral, mais nous voulons avoir une capacité bilatérale suffisante pour exercer un effet de levier fort sur les ressources internationales. Lorsque nous allons à Bruxelles demander de l'argent pour mener nos projets, nous sommes beaucoup plus forts si nous pouvons dire que nous mettons 5 millions d'euros français et que nous allons en chercher 35 à Bruxelles, avec un effet de levier de facteur six, comme nous l'avons fait pour le projet qui va rapidement être soumis au conseil d'administration sur le Lac Tchad. Ensuite, nous mettons en oeuvre des actions avec les ONG et nos partenaires du domaine de la sécurité. Au Lac Tchad, 40 millions représentent des moyens significatifs pour recréer de l'activité et essayer de faire revenir les populations dans les îles quand elles en ont été chassées par Boko Haram.

Nous avons donc proposé la création de cette « Facilité pour la lutte contre les vulnérabilités et la réponse aux crises », et nous allons prévoir des procédures adaptées, qui ne seront pas forcément les procédures de droit commun de l'AFD, pour être plus rapide. Nous avons considéré qu'il fallait 100 millions d'euros additionnels pour être significatifs ; je pense que ce sujet sera débattu devant votre commission et en séance publique. L'idée n'est pas d'élaborer une liste de pays prédéterminée, mais de fixer des critères en fonction desquels cette facilité sera activée, et d'en garder une part disponible pour faire face à des interventions précoces ou des problèmes qui surgissent en infra-annuel, nous pensions ainsi garder 15 %.

Voilà où nous en sommes, votre retour sera très utile.

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