Intervention de Pascal Demarthe

Réunion du 26 octobre 2016 à 9h30
Commission des affaires culturelles et de l'éducation

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaPascal Demarthe, rapporteur pour avis :

J'ai choisi de consacrer la partie thématique de l'avis budgétaire sur l'enseignement scolaire à la vaste revalorisation des carrières enseignantes, sur laquelle le Gouvernement et les organisations syndicales représentant 70 % des personnels se sont entendus l'été dernier.

Dans un esprit de méthode et de responsabilité, la priorité absolue donnée par la présente majorité à l'éducation, avec un budget en hausse de 12,5 % sur le quinquennat, s'est concrétisée en trois étapes cohérentes.

La première a été de forger tous les outils innovants nécessaires pour donner à l'école les moyens de faire face aux défis qui se dressent devant elle, au premier rang desquels, bien sûr, la question de l'égalité. C'est ce qu'a fait la loi de refondation de 2013, avec la priorité donnée au primaire et la création de dispositifs innovants – « plus de maîtres que de classes », lutte contre les ruptures école-collège ou nouveaux rythmes scolaires. Cette modernisation s'est ensuite poursuivie sans relâche, permettant une complète refonte de tous les programmes pour faire vivre le socle commun, insufflant un nouveau dynamisme à l'éducation prioritaire ou réformant le collège, maillon faible de notre système éducatif.

La deuxième grande étape, incontournable et vouée à porter tous ses fruits dès lors qu'il s'agissait de refonder notre éducation dans un environnement repensé, c'est bien entendu celle de l'accroissement des moyens. Là encore, les engagements ont été tenus, avec 60 000 nouveaux postes sur le terrain, dont 94 % d'enseignants, pour un effort budgétaire annuel de 1,6 milliard d'euros.

Rétablir les effectifs, moderniser et clarifier les missions de l'école, valoriser les pratiques les plus efficaces, rétablir une formation initiale de qualité… ce sont autant de témoignages concrets de la considération portée par la Nation à ses enseignants.

Mais il n'était pas possible d'éluder la question des rémunérations. Par esprit de responsabilité, le Gouvernement a su attendre que l'éducation soit refondée et que nos comptes publics soient redressés avant d'engager ce chantier. Toutefois, par esprit de justice, il n'a pas hésité à répondre enfin à une revendication aussi légitime qu'ancienne de nos enseignants.

Je dessine dans le rapport que je vous soumets aujourd'hui un bilan transparent de l'évolution du pouvoir d'achat des professeurs. De fait, ceux-ci n'ont bénéficié d'aucune réforme d'ampleur de leurs rémunérations depuis les fameux protocoles Jospin, Durafour et Lang de 1989, 1990 et 1993, qui avaient mobilisé 4,3 milliards d'euros actuels pour revaloriser toutes les carrières, en alignant notamment les grilles des instituteurs sur celles des certifiés.

Dans ce régime, qui n'a pas fondamentalement bougé, le traitement des enseignants a deux grandes caractéristiques.

D'abord, à la différence des fonctionnaires de catégorie A, les primes pèsent peu dans leur salaire : 15 % chez les certifiés, 5 % chez les professeurs des écoles, contre 30 % pour les autres cadres publics. En résulte une évolution presque strictement calquée sur les variations du point d'indice. C'est pourquoi, entre 1993 et 2003, les salaires enseignants ont été en phase avec l'inflation – + 1,8% –, préservant leur pouvoir d'achat mais creusant un premier différentiel avec les autres cadres de l'État, dont les primes étaient l'élément le plus dynamique. Surtout, la modération, puis le gel du point d'indice ont eu un fort impact sur la rémunération des enseignants. Selon l'OCDE, leur pouvoir d'achat a baissé de presque 10 % entre 2003 et 2014. Seuls les tout débuts de carrière ont fait l'objet en 2010 d'une timide revalorisation, de 13 % au total.

Ensuite, les carrières des enseignants sont très inégales. À la différence des autres fonctionnaires, l'avancement est toujours dépendant d'une évaluation, distinguant trois rythmes, dénommés « grand choix », « choix » et « ancienneté ». Or cette évaluation dépend de la fréquence des visites des inspecteurs qui, dans le second degré, est souvent rare et aléatoire, au risque d'introduire des différences dans les carrières qui ne doivent rien au mérite. Surtout, l'accès au second grade de la carrière, la « hors-classe » qui permet de nets gains de rémunération, est sévèrement contingenté, à 7 % des « promouvables » pour les certifiés et, jusqu'en 2012, à seulement 2 % pour les professeurs des écoles. Dès lors, de nombreux professeurs des écoles n'accèdent jamais à ce grade, et une majorité de certifiés doit attendre tard dans la carrière pour en bénéficier, sans que, là encore, ces rythmes différents soient toujours reliés au seul mérite.

Si l'on ajoute à cela le fait que les certifiés bénéficient à la fois de primes plus élevées, en raison principalement de l'indemnité de suivi et d'accompagnement des élèves (ISOE) créée en 1991 pour chacun d'entre eux et mais aussi parce que, du fait leurs obligations horaires plus faibles, le volume de leurs heures supplémentaires est plus important, il apparaît clairement que les professeurs des écoles sont nettement désavantagés financièrement.

Au total, ce système de rémunération rigide et, dans les faits, bloqué depuis une quinzaine d'années, nous place dans une situation bien peu enviable au regard des salaires servis aux enseignants par les autres pays comparables. L'OCDE a ainsi montré que le salaire effectif moyen en France est inférieur de 12 % à la moyenne internationale pour le primaire et de 2 % pour le secondaire. Globalement, les professeurs des écoles et les certifiés gagnent respectivement 24 % et 10 % de moins que les actifs du privé titulaires d'un simple diplôme de l'enseignement supérieur, alors même que, depuis 2010, l'État exige d'eux qu'ils soient titulaires d'un master. Le handicap français est manifeste en début de carrière, où les jeunes enseignants gagnent 20 % de moins que leurs collègues de l'OCDE. Cet écart se creuse légèrement après quinze ans de métier, avant que des rémunérations plus solides en fin de carrière nous rapprochent de la moyenne.

Dans ce contexte, la revalorisation du traitement des enseignants apparaît comme un impératif. Mais je veux me féliciter qu'ici encore le Gouvernement ait fait le choix de ne pas simplement augmenter les rémunérations, mais de procéder, dans un fort consensus avec les syndicats, à une complète refonte des carrières permettant de promouvoir une vraie politique moderne de ressources humaines dans l'éducation nationale.

Le protocole sur les parcours, les carrières et les rémunérations enseignantes (PPCR) n'est pas une avancée isolée. Depuis 2012, nous nous sommes en effet attachés à revaloriser la condition enseignante au travers, d'abord, de mesures d'égalité. Le relèvement et l'alignement progressif du taux d'accès à la hors-classe des professeurs des écoles sur celui des certifiés, pour un coût de 22 millions d'euros, sont une évidente mesure de justice. Tout comme la création en 2013 et l'alignement de son montant sur celui de l'indemnité de suivi et d'orientation des élèves (ISOE) d'une indemnité de suivi et d'accompagnement des élèves (ISAE) destinée aux professeurs des écoles, pour un montant global de 430 millions d'euros.

De même, un effort de lisibilité et de justice a inspiré la refonte des primes, afin de clairement valoriser le « travail gris » des enseignants, toutes ces activités indispensables – coordination, tutorat, rôle de référent – qui accompagnent le face-à-face pédagogique. Depuis 2014, ces missions font l'objet d'un barème transparent, permettant aux établissements, sous le contrôle du recteur qui les valide en dernier ressort, d'accorder des primes allant de 300 à 3 750 euros par an. Dans une logique comparable, les primes de l'éducation prioritaire ont été clarifiées et revalorisées à 1 734 euros par an pour les réseaux d'éducation prioritaire (REP) et à 2 312 euros pour les réseaux d'éducation prioritaire renforcés (REP+).

Le protocole PPCR va cependant beaucoup plus loin. Pour la première fois depuis un quart de siècle, il organise une amélioration massive et globale des carrières de tous les enseignants, en modifiant en profondeur la philosophie inspirant leur progression. Pour y parvenir, il s'appuie sur une très substantielle augmentation des moyens, de 1 milliard d'euros d'ici à 2020, dont 475 millions d'euros budgétés dès le présent projet de loi de finances, auxquels il faut ajouter 450 millions d'euros liés au dégel du point d'indice.

Le premier principe est de rendre plus prévisible et, au final, plus juste le déroulé de la carrière en créant une évolution linéaire dans des grilles fortement revalorisées. Aux trois anciens rythmes d'avancement est substituée une cadence unique, où les durées des échelons sont placées au sommet des anciennes moyennes. Surtout, est posée la règle équitable selon laquelle tous les enseignants ont automatiquement vocation à accéder au deuxième grade, la hors-classe, après vingt-six années de carrière s'ils n'ont pas bénéficié d'accélérations liées à leur mérite. Enfin, toutes les étapes de la carrière sont revalorisées, avec des gains maximaux concentrés sur les milieux de parcours, négligés depuis longtemps. En moyenne, tous les indices augmentent de dix points dès le 1er janvier prochain, puis ils progresseront d'un montant comparable en 2019. C'est une hausse de 5,2 % dans la classe moyenne et de 10,8 % dans la hors-classe, soit au total 7,5 %. Sur toute la carrière, cela signifie qu'un enseignant progressant à la seule ancienneté gagnera 5 % de plus et qu'un professeur des écoles, qui aujourd'hui n'aurait pu accéder au grade supérieur, touchera 10 % de plus.

Pour autant, tracer des carrières équitables n'implique pas de renoncer à valoriser les enseignants les plus méritants. C'est ici le deuxième grand principe du protocole : de vrais rendez-vous sont définis pour accélérer les parcours de ceux qui consentent à des investissements exceptionnels dans leur métier. Tous les sept ans, les enseignants ont la garantie d'être inspectés, à un moment clairement déterminé et donc attendu. 30 % d'entre eux – une proportion élevée – pourront à chacun de ces rendez-vous bénéficier d'un bond en avant d'une année dans leur carrière. Surtout, pour maintenir cette dynamique vertueuse tout au long de l'exercice du métier, le Gouvernement crée une nouvelle classe, dénommée « exceptionnelle », qui a vocation à récompenser les 10 % d'enseignants jugés les meilleurs par l'accès à des rémunérations allant jusqu'à 4 500 euros mensuels, soit 1 000 euros de plus que l'ancienne rémunération maximum. Mieux encore, le choix a été fait de valoriser tout particulièrement les missions les plus difficiles ou les plus importantes pour notre système scolaire, en réservant 80 % de ces promotions à ceux qui auront enseigné pendant huit ans en éducation prioritaire ou qui auront assumé des activités particulières, comme la direction d'école, pendant cette durée. Je crois que réside ici une innovation décisive, conférant une forte attractivité à des missions essentielles.

Troisième et dernier grand principe guidant les carrières rénovées, l'évaluation fait l'objet de ce que j'ose nommer une refondation. Chacun d'entre vous connaît les faiblesses du système actuel. Il est infantilisant pour les enseignants dont chaque inspection se traduit immédiatement par des conséquences financières. Ainsi, les lacunes sont vécues non comme des occasions de progresser, mais comme des échecs, immédiatement sanctionnés. Limitée à l'observation de la gestion de classe, l'inspection apparaît souvent trop administrative, se soldant par des notes tellement homogènes qu'elles en deviennent illisibles. Surtout, son caractère aléatoire introduit des discriminations dans le déroulé des carrières que rien ne justifie.

Si les modalités précises des nouvelles inspections demeurent débattues avec les partenaires sociaux, je voudrais insister sur quelques aspects qui me paraissent absolument indispensables. D'abord, il est salutaire que les inspections soient enfin déconnectées de la gestion des carrières. En dehors des quatre rendez-vous clairement identifiés, les évaluations serviront exclusivement d'accompagnement, permettant aux enseignants de prendre conscience de leurs éventuelles lacunes et de solliciter l'expertise de l'inspecteur, en particulier pour choisir une formation continue adaptée. Cette évaluation positive est un progrès considérable et un précieux instrument de gestion des ressources humaines. Pour réussir cependant, il faudra s'assurer que les inspecteurs visitent régulièrement les enseignants en dehors des rendez-vous programmés, ce qui implique un effort de recrutement à la mesure des attentes.

Ensuite, je suis très attaché à ce que les enseignants soient pleinement associés à l'évaluation. La proposition du Gouvernement de faire précéder les inspections de la remise par l'enseignant d'un document d'autoévaluation est à cet égard un progrès très important, gage d'une responsabilisation et d'une appropriation de son évaluation par l'enseignant plus proche des standards applicables aux cadres.

Enfin, si le protocole prend acte de la suppression de l'absurde notation chiffrée, il reste à définir le détail des nombreux critères d'évaluation, opportunément rédigés à partir des attentes définies dans le référentiel des compétences des enseignants adopté en 2013.

Je formule ici deux mises en garde, sur lesquelles je crois que vous me rejoindrez aisément. La première, c'est de s'assurer que l'évaluation fera désormais l'objet d'une appréciation littérale, qualitative et détaillée et qu'elle ne se limitera pas au fait de remplir une grille uniforme composée de signes standards inéluctablement convergents, et donc illisibles. La seconde, c'est qu'il me paraît important de préserver un vrai travail de dialogue et d'équipe entre l'inspecteur et le chef d'établissement, chacun apportant à l'autre un regard complémentaire, sans que ni l'un ni l'autre ait seul le contrôle unilatéral de tel ou tel critère.

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