Intervention de Amiral Christophe Prazuck

Réunion du 12 octobre 2016 à 9h30
Commission de la défense nationale et des forces armées

Amiral Christophe Prazuck, chef d'état-major de la marine :

Merci de m'accueillir dans ces lieux à l'occasion de ce premier « grand oral » que je passe devant vous et pour lequel je requiers par avance votre indulgence.

L'année qui vient de s'écouler a été marquée, comme les précédentes, pour la marine nationale par une intense activité opérationnelle. Le Livre blanc de 2013 prévoyait des déploiements permanents sur deux théâtres ; nous sommes actuellement présents sur cinq théâtres de manière continue, dont trois qui réclament des moyens de premier rang et de la haute technologie.

Nous entretenons ainsi, de manière permanente dans le golfe Arabo-Persique des unités capables de s'intégrer dans les forces de la coalition, ce qui demande des capacités d'interopérabilité élevées et la mise en oeuvre de systèmes complexes.

Nous sommes également engagés depuis trois ans de manière continue sur un deuxième théâtre, la Méditerranée orientale, soit pour le déploiement d'un porte-avions, comme c'est le cas actuellement, soit pour entretenir sur place des moyens d'observation, de renseignement et d'information qui, eux aussi, doivent être connectés aux réseaux de la coalition pour entretenir l'interopérabilité, ce qui permet ensuite, quand on déploie un porte-avions de le brancher lui-même avec peu de préavis sur ces réseaux complexes. Par ailleurs, ce déploiement permanent nous permet de disposer d'une appréciation autonome, ou tout au moins de contribuer à l'autonomie d'appréciation, de la situation sur ce théâtre.

Enfin, nous sommes évidemment déployés de manière permanente sur un troisième théâtre qui demande également des moyens de premier rang, je veux parler de l'Atlantique nord où, depuis plusieurs années, nous observons un regain d'activité de la marine russe et notamment de ses sous-marins nucléaires, ce qui nous impose de redoubler d'efforts pour protéger nos approches maritimes et notamment les sanctuaires de la force océanique stratégique (FOST).

Nous sommes d'autre part présents de manière continue depuis une trentaine d'années dans le golfe de Guinée, avec la mission Corymbe. Après le sommet de Yaoundé et la mise en place du processus de Yaoundé pour la sécurité maritime dans le golfe de Guinée, notre implication a un peu changé de nature et, au prépositionnement purement militaire, nous avons adjoint les exercices NEMO (Navy's Exercise for Maritime Operations), dont l'objectif est la coopération avec les marines du golfe ainsi que leur formation. Actuellement le Dixmude est sur place et contribue à la formation des marines des différents pays de la région, à travers des exercices, des séances de formation ou l'embarquement d'officiers. Vous savez que se tient actuellement à Lomé un sommet de l'Union africaine sur la sécurité maritime, qui doit donner une nouvelle impulsion à ce processus de lutte contre les trafics, la pêche illicite, la piraterie et le brigandage qui sévissent dans le golfe de Guinée.

Enfin, la Méditerranée centrale constitue le cinquième et dernier théâtre sur lequel nous sommes présents, au travers de la participation à l'opération Sophia d'un bâtiment français plus particulièrement affecté aux tâches dites « additionnelles » de lutte contre le trafic d'armes à destination de la Libye.

En marge de ces cinq théâtres d'opérations, les missions permanentes de la marine se poursuivent évidemment, au travers de la posture permanente de sauvegarde maritime, qui concerne environ 10 % de nos effectifs et assure également la protection de nos emprises au travers de la défense maritime du territoire (DMT), laquelle repose notamment sur notre réseau de soixante sémaphores ou sur des pelotons de sûreté maritime et portuaire (PSMP) de la gendarmerie maritime enfin, qui compteront bientôt un nouveau peloton sur la zone de Dunkerque-Calais.

À cela s'ajoute le travail de surveillance de nos patrouilleurs et aéronefs, dont le bilan demeure stable, avec un peu plus de trois cents vies sauvées chaque année et trois mille munitions historiques détruites le long de nos côtes.

Je signale également la poursuite des missions de nos équipes de protection embarquées (EPE), sur les bâtiments sensibles qui traversent des zones potentiellement dangereuses, comme le nord de l'océan Indien ou le golfe de Guinée. Depuis cet été, ces missions ont été adaptées aux navires à passagers, avec la mise en place d'équipes de protection des navires à passagers (EPNAP), qui sont des équipes mixtes composées de gendarmes maritimes et de fusiliers marins embarquant sur les navires à passagers – dix-neuf millions de passagers accostent en France ou en partent chaque année.

Il faut enfin compter avec la surveillance de nos zones économiques exclusives (ZEE) métropolitaines ou ultramarines, avec un effort particulier consacré à la lutte contre la pêche illégale en Guyane et dans les Terres australes et antarctiques françaises ou encore à la lutte contre le narcotrafic : il faut savoir en effet que la cocaïne interceptée aux Antilles-Guyane par la marine nationale représente environ 40 % de la consommation annuelle française estimée.

Voilà pour le bilan de notre activité, de notre suractivité devrais-je dire, qui sollicite particulièrement nos moyens les plus anciens. Je suis particulièrement attentif en la matière au comportement de nos pétroliers-ravitailleurs, qui commencent à être très âgés, mais également à nos patrouilleurs, censés être remplacés avec le programme des bâtiments d'intervention et de surveillance maritime (BATSIMAR). Ma vigilance reste grande sur ces moyens, qui sont tout à fait essentiels pour la surveillance et la protection de nos ZEE.

Mon second motif de vigilance concerne les ressources humaines. Il s'agit d'éviter d'en arriver à la situation critique dans laquelle se trouvent certains de nos voisins, qui peinent à fidéliser leurs marins. Dans cette optique, les mesures annoncées dans le budget en faveur du personnel me semblent tout à fait essentielles et nécessaires. En effet, notre marine connaît dans certains corps de métiers des départs que nous parvenons à peine à compenser par les nouveaux recrutements, qui ont pourtant été dynamisés. Je pense en particulier aux microfilières spécifiques à la marine, comme celles des atomiciens, des hydrauliciens ou des officiers d'appontage, dont les effectifs ne dépassent pas quelques dizaines et dans lesquelles on se trouve très rapidement sur la ligne de crête, avec le risque de perdre des capacités.

Pour terminer par une forme de bilan des opérations récentes, je dirai que le choix qui a été fait de conserver une marine à large spectre est un bon choix. Tous les jours en effet, nous employons l'ensemble de nos capacités, depuis le haut du spectre jusqu'à nos moyens de surveillance les plus simples. Je souligne ici la remarquable capacité opérationnelle des frégates de défense aérienne (FDA) ou des frégates européennes multi-missions (FREMM) qui, chaque fois qu'elles sont déployées ou en exercice avec nos alliés, impressionnent par la qualité de leurs performances.

En ce qui concerne le budget 2017, je retiens principalement la poursuite de l'effort portant sur l'entretien programmé du matériel (EPM), avec quatre-vingt-seize jours de mer pour les bateaux, soit cinq jours de plus que l'an passé. C'est pour moi une nécessité, qui correspond au très haut niveau d'engagement de nos moyens. Cet EPM s'appliquera également à l'aéronautique navale, où nous atteindrons les standards requis pour les avions de chasse et les hélicoptères ; ce sera plus difficile pour les avions de patrouille maritime, mais les choses progressent.

Je me réjouis de la commande annoncée du cinquième sous-marin Barracuda, de la livraison de la FREMM Auvergne, de L'Astrolabe, qui bénéficie d'un montage un peu particulier et qui nous permettra à la fois de ravitailler l'Antarctique et de patrouiller dans les Terres australes et antarctiques françaises. À ces bâtiments s'ajoutent également deux Rafale rétrofités ainsi que les B2M – bâtiments multi-missions. Ce budget nous permettra enfin de reconstituer le stock des munitions air-sol, largement entamé par l'activité opérationnelle de ces dernières années.

L'autre effort important porte sur les infrastructures, c'est-à-dire l'hébergement des marins, dans le cadre d'un plan lancé par le ministère dont nous recueillons les fruits aujourd'hui, mais aussi et surtout la rénovation des infrastructures portuaires qui, pour beaucoup d'entre elles, à Brest, à Toulon, n'avaient pas été rénovées depuis cinquante ans. Cela permettra l'accueil de nos nouveaux bâtiments de premier rang, les FREMM et les Barracuda.

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