Intervention de Yves Daniel

Réunion du 12 octobre 2016 à 16h30
Commission des affaires européennes

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaYves Daniel, co-rapporteur :

Pour que cette intervention publique à court terme conserve tout son sens, nous ne pouvons plus faire l'économie d'une réflexion à la fois structurelle et globale sur tous les aspects de la filière. Aujourd'hui l'interprofession laitière, telle que nous la connaissons, est en pleine réflexion sur son rôle et ses perspectives. Nous tenons à réaffirmer ici fortement qu'elle doit être le lieu central de définition d'une stratégie laitière. Certains États membre bénéficient d'une filière presque intégralement structurée par une coopérative en situation de quasi-monopole, qui peut assurer régulation, promotion et valorisation de la production nationale. D'autres pays ont des instances de discussion, où la stratégie fait l'objet d'un consensus pour la majorité des acteurs, qu'elle soit axée sur la compétitivité et le gain de parts de marché ou la défense d'une diversité de production. À l'inverse, nous avons développé le sentiment, au cours des auditions, que la filière française était écartelée entre des intérêts divergents qui finissent par desservir tout le monde. La concurrence entre coopératives et entreprises privées se fait au détriment des producteurs et c'est d'autant plus dommageable que la distribution est soumise aux mêmes problèmes. C'est pourquoi nous estimons qu'il serait pertinent que les distributeurs soient, sinon intégrés dans l'interprofession, à tout le moins associés au sein de comités ad hoc.

Cette stratégie collective gagnerait à être étendue au-delà de nos frontières. La vision à long terme de la filière laitière n'est certes pas la même entre le Sud et le Nord de l'Europe. Pour autant notre continent - l'une des rares régions du monde exportatrice de produits laitiers - partage un défi commun, à savoir assurer le renouvellement générationnel des agriculteurs. Les aides de la PAC doivent, donc, mieux intégrer cette dimension. Nous n'en sommes toutefois qu'au début de la réflexion sur ce que devra être la politique agricole après 2020. Nous estimons néanmoins qu'il faut agir d'ores et déjà sur trois fronts :

– en premier lieu, si les producteurs sont en train d'achever leur mue, souvent à marche forcée, vers le statut de chef d'entreprise, ils doivent bénéficier d'une large palette d'instruments pour pallier les effets négatifs de la volatilité, de plus en plus importante, des marchés. Celle-ci est l'une des problématiques majeures pour les marchés des matières premières depuis le début de ce siècle. Les marchés à terme, les mécanismes assurantiels, les fonds de mutualisation alimentés par les acteurs de la filière et des financements publics ou encore des aides contracycliques sont autant de moyens partiels, qui, ensemble, peuvent aider les agriculteurs à lisser leurs revenus ;

– deuxièmement, l'agriculture européenne – et l'élevage n'est pas une exception – vieillit. Les départs massifs à la retraite vont être d'autant plus difficiles à compenser que les investissements récemment consentis dans la filière pour s'adapter à l'ouverture des marchés alourdissent les transmissions d'exploitation. Les aides, à destination des jeunes agriculteurs, prennent donc tout leur sens, si l'on considère que l'agriculture européenne ne peut se passer d'agriculteur ;

– enfin, la production agricole est unique en ce sens que non seulement elle doit assurer une forme de rentabilité, mais elle a surtout pour mission première d'assurer la nourriture des hommes et de les maintenir en bonne santé. Nous ne sommes, certes, plus à l'époque où Sully pouvait dire que : « labourage et pâturage sont les deux mamelles de la France », mais les aides du deuxième pilier doivent rétribuer, au mieux, l'action des éleveurs en faveur de l'aménagement du territoire, de la lutte contre le réchauffement climatique, de la préservation de la biodiversité et du maintien de l'activité dans les zones défavorisées, pour préserver la santé de notre planète.

Globalement, nous militons pour un concept déjà débattu devant cette Commission, celui de l'exception agricole et plus encore, agri-culturelle. À l'instar de ce qui s'est fait dans le domaine culturel, ne pourrait-on pas imaginer que soit reconnue la spécificité agricole, production laitière comprise, qui doit parfois déroger aux règles de la libre concurrence pour remplir des impératifs tels qu'une mission nourricière ou la préservation des biens publics issus de l'élevage ? C'est pourquoi nous vous proposons cette résolution destinée à tracer un chemin, accompagné de propositions aussi concrètes que possibles, afin que chacun puisse s'en emparer à court, moyen et long terme. Nous souhaitons également mettre en place des outils d'évaluation pour mesurer l'efficacité et la pertinence des trente-trois propositions déclinées par niveau d'action. Nous avons voulu que ce rapport soit un véritable outil pratique de mise en oeuvre des actions, pour construire enfin une vraie structuration de la filière laitière et ne plus subir les crises conjoncturelles successives. En tant que paysan, j'ai connu ces crises conjoncturelles successives sur quarante ans, parce que nous n'avions justement pas fait le travail structurel de restructuration des filières. Il y a finalement deux situations de crise : celle des prix bas et celle des prix hauts. Dans les deux cas, la filière est déséquilibrée.

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