Intervention de Sébastien Pietrasanta

Séance en hémicycle du 13 octobre 2016 à 9h30
Lutte contre terrorisme — Motion de rejet préalable

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaSébastien Pietrasanta :

Je vous rappelle, mes chers collègues, le scepticisme et l’hostilité à ce genre de mesure des experts, des magistrats et des policiers que nous avons auditionnés inlassablement lors de nos différents travaux : selon eux, prévenir des individus qu’ils sont surveillés et qu’ils vont être placés en centre de rétention pourrait empêcher de mener à leur terme certaines enquêtes sensibles et de démanteler des réseaux. Comme je vous l’ai dit et répété en discussion générale, regrouper en un même lieu des individus considérés comme dangereux revient à les faire vivre en réseau, puisqu’ils se parleront et s’organiseront avant de sortir de ces centres. Comment ne pas voir que leur dangerosité en sera aggravée ? Je note d’ailleurs que vous n’avez pas apporté de réponse à ma question : que ferions-nous des individus internés car considérés comme dangereux au bout des 150 jours d’assignation ?

Dans votre proposition de loi, d’autres mesures nous interpellent tant elles apparaissent totalement injustifiées et contre-productives au regard des finalités et des objectifs poursuivis.

Concernant l’incrimination du séjour ou de l’intention de séjourner sur un théâtre d’opérations terroristes prévue par l’article 10, cette disposition, proposée à maintes reprises depuis 2014, a toujours été rejetée par le Parlement. Là encore, le procureur de la République de Paris a été très clair : l’association de malfaiteurs en vue d’une entreprise terroriste est suffisamment large pour incriminer tous ceux qui reviennent de Syrie ou d’Irak. On le voit bien : nombre de vos propositions seraient inefficaces et contre-productives. D’autres sont inutiles, étant déjà satisfaites par notre dispositif actuel de lutte contre le terrorisme. Il en va ainsi, à l’article 3, de la peine obligatoire d’interdiction du territoire français pour les étrangers condamnés pour une infraction passible d’au moins cinq ans de prison, sauf décision spécialement motivée du tribunal, puisque cette peine complémentaire d’interdiction du territoire français a déjà été introduite par la loi du 21 juillet 2016 à l’article 422-4 et est prononcée par le juge à chaque fois qu’il l’estime nécessaire. Il n’est donc aucunement indispensable de la rendre automatique. Près de 2 000 interdictions du territoire français sont émises chaque année par les tribunaux, dont près de 500, rien qu’en 2016, à titre définitif.

S’agissant des peines plancher, nous en avons déjà débattu dans cet hémicycle en 2014. Nos discussions ont abouti à leur suppression, inscrite dans la loi du 15 août de la même année, au motif qu’elles portaient une atteinte injustifiée au principe républicain d’individualisation des peines. Elles procédaient en réalité d’une défiance infondée et démagogique envers les juges, pour qui nous avons un profond respect, et n’étaient d’aucun effet pour lutter contre la récidive ou la violence.

D’autres mesures que vous soumettez à l’approbation de notre Assemblée sont tout aussi vaines. Je citerai d’abord celle qui permettrait l’expulsion des étrangers menaçant l’ordre public faisant l’objet d’une fiche « S », ou encore l’inscription à votre nouveau fichier des personnes radicalisées. La loi prévoit déjà de telles expulsions, et les exceptions ont été restreintes par la loi du 7 mars 2016. Il n’y a donc plus de raison de légiférer en cette matière, d’autant que le Gouvernement n’hésite pas à y recourir. Depuis 2012, cela a été rappelé hier lors de la séance des questions au Gouvernement, quatre-vingt-six mesures d’expulsion ont été prononcées à l’encontre d’étrangers radicalisés, dont seize depuis le début de cette année.

Vous voulez également étendre l’expulsion aux étrangers coupables d’un délit ou d’un crime passible de cinq ans de prison minimum. Là encore, c’est déjà prévu dans notre législation pour tout étranger dès lors qu’il constitue une menace grave à l’ordre public, et il n’est nul besoin d’une condamnation pénale préalable. Une autre mesure inutile figure à l’article 9, à savoir la fouille des détenus condamnés pour terrorisme et des prosélytes en prison, sans qu’il soit besoin de la motiver ou d’en faire un rapport spécial auprès du parquet ou de l’administration centrale. Mes chers collègues, nul n’a oublié que cette mesure, votée récemment, est déjà en application : c’est la loi du 3 juin 2016, qui permet le recours à des mesures de fouilles non individualisées en cas de suspicion d’introduction d’objets ou de substances interdits en détention ou constituant une menace pour la sécurité des personnes ou des biens.

En outre, vous le savez, la jurisprudence du Conseil d’État permet des fouilles individualisées systématiques pour des personnes détenues, notamment pour des faits de terrorisme. Cette même loi offre la possibilité d’isoler les personnes qui portent atteinte au bon ordre de l’établissement pénitentiaire, ce qui rend également inutile votre article 10.

J’en viens à l’application de la rétention et de la surveillance de sûreté aux personnes condamnées pour terrorisme à une peine de quinze ans ou plus, proposée à l’article 6. Ce dispositif, créé dans une logique de soins, a été introduit par la loi du 25 février 2008. Il consiste dans le placement de la personne dont la dangerosité est jugée importante « en centre socio-médico-judiciaire de sûreté dans lequel il lui est proposé, de façon permanente, une prise en charge médicale, sociale et psychologique destinée à permettre la fin de cette mesure ».

Or, dans le cadre de la discussion du projet de loi renforçant la lutte contre le crime organisé, le terrorisme et leur financement, et améliorant l’efficacité et les garanties de la procédure pénale, qui a abouti à la loi du 3 juin 2016, un amendement de Guillaume Larrivé a permis d’empêcher qu’une telle situation ne se présente. Les terroristes ne sortiront pas de prison, puisque l’Assemblée a porté la peine de sûreté à trente ans et a instauré la perpétuité réelle à l’article 421-7 du code pénal.

Contre-productive, inutile et inconstitutionnelle, cette proposition de loi n’est pas à la hauteur des enjeux. Nous ne cédons pas à la terreur. Nous la combattons avec nos armes, celles de la République, le respect du droit et de la loi. Nous avons le devoir de construire une législation respectueuse de nos valeurs, au bénéfice de notre peuple et de tous ceux que nous accueillons en France.

En conséquence, mes chers collègues, je vous invite à soutenir cette motion de rejet préalable, qui traduit notre opposition formelle à une telle proposition de loi.

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