Intervention de Jacques Cresta

Réunion du 19 juillet 2016 à 15h00
Commission des affaires européennes

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJacques Cresta, co-rapporteur :

Comme vous l'a bien expliqué mon collègue co-rapporteur André Schneider, la stratégie européenne en matière d'approvisionnement gazier et de sécurité énergétique vise principalement à écarter tout risque de pénurie, et à doter l'Union d'une énergie sûre et compétitive. Depuis 2004, la réglementation européenne a donc évolué dans ce sens, jusqu'au paquet d'hiver de 2016 qui comprend le règlement et la décision qui nous intéressent aujourd'hui. Je vais revenir brièvement sur ces différentes étapes.

Tout d'abord, en 2004, une directive a établi pour la première fois un cadre juridique à l'échelon communautaire afin de garantir la sécurité de l'approvisionnement en gaz pour un bon fonctionnement du marché en cas de ruptures d'approvisionnement. Elle a institué le groupe de coordination pour le gaz, un instrument très utile pour échanger des informations et définir des actions communes entre les États membres, la Commission, le secteur du gaz et les consommateurs.

Mais c'est véritablement le règlement de 2010 qui pose les jalons les plus importants qui ont permis à l'Union de réaliser des avancées substantielles sur la voie de plus d'indépendance énergétique dans le secteur du gaz.

Des normes communes sont fixées en matière d'approvisionnement, pour fournir en priorité les consommateurs protégés lors d'un éventuel épisode de crise. Tous les ménages sont des clients protégés, et cette catégorie peut également inclure les petites et moyennes entreprises et les services sociaux essentiels etou les installations de chauffage urbain.

Le règlement instaure le critère dit du N-1 comme le standard pour les infrastructures. Dans le cas d'une défaillance de la plus grande infrastructure gazière d'un État, la capacité des infrastructures restantes doit être en mesure de satisfaire la demande totale de gaz de la zone pendant une journée de demande en gaz exceptionnellement élevée, se produisant avec une probabilité statistique d'une fois en vingt ans.

Autre mesure d'importance, le règlement impose l'installation de capacités bidirectionnelles du gaz sur tous les points majeurs d'interconnexion, sauf exemption spécifique, dont bénéficie par exemple la France en raison de l'odorisation de son gaz, la création de flux rebours nécessitant alors de très lourds investissements peu justifiables économiquement. En cas de défaut d'approvisionnement du gaz venant de l'est, on pourrait rediriger du gaz de l'Ouest vers l'Est par exemple.

Pour agir en amont de la survenance des crises d'approvisionnement, le règlement de 2010 instaure l'obligation pour les États de faire réaliser par l'autorité nationale compétente une analyse des risques, un plan d'action préventif et un plan de mesures d'urgence. Ces plans, évalués par la Commission et le groupe de coordination pour le gaz, devaient être soumis à une révision tous les deux ans.

Toutes ces mesures ont sans conteste permis d'améliorer la sécurité de l'approvisionnement énergétique de l'Union européenne. Pourtant, deux ans après la mise en oeuvre du règlement, et à la lumière de nouvelles menaces, la Commission a décidé de renforcer ce cadre concomitamment au lancement de l'Union de l'énergie.

Après la détérioration de la situation à la frontière russo-ukrainienne en 2014, la Commission a souhaité établir le bilan des efforts réalisés par les États depuis le règlement de 2010. Elle a donc décidé dans sa Stratégie européenne de sécurité énergétique de mener une évaluation de grande ampleur. Des tests de résistance du système gazier européen ont été effectués dans un cadre plus large que celui de l'Union pour faire le bilan des vulnérabilités persistantes. Il s'agissait de simuler les effets de la coupure de la route de transit du gaz ukrainien, ainsi que l'interruption des flux de gaz russe vers l'Europe pour des périodes d'un mois et de six mois.

Le bilan était en demi-teinte : des progrès avaient été clairement réalisés depuis les crises de 2006 et 2009, certes, mais des améliorations restaient encore possibles en relançant la coopération européenne sur ce sujet.

La Commission a donc proposé en février 2016 un paquet d'hiver conforme aux objectifs de l'Union de l'énergie. Le paquet d'hiver se compose de quatre textes : deux textes sont de nature législative et constituent une réforme des textes précédents, deux textes présentent des stratégies dont les développements législatifs sont encore attendus. Nous ne revenons donc pas dans le rapport sur ces stratégies, qui appellent un travail ultérieur.

La décision sur les accords intergouvernementaux dans le domaine de l'énergie, qui a récemment fait l'objet d'une orientation générale au Conseil de juin, créait selon nous beaucoup de contraintes pour les États, en donnant à la Commission une grande latitude d'examen et de contrôle en amont, lors des négociations de contrats intergouvernementaux. L'orientation générale a permis une approche plus équilibrée, qui permettra aux États qui le souhaitent l'assistance de la Commission.

Le règlement pour la sécurité d'approvisionnement en gaz de 2016 vise à réformer le texte de 2010 afin d'accroître le niveau de sécurité énergétique européen et propose une approche basée sur quatre axes principaux.

D'abord, une régionalisation de l'analyse et de la prévention des risques. Les tests de résistance ont montré que la capacité des États à faire face à de nouvelles ruptures d'approvisionnement était largement tributaire de leur aptitude à mobiliser les ressources de façon plus coordonnée et plus solidaire. Pour cela, les plans d'évaluation des risques, les plans d'action préventifs et les plans d'urgence devraient désormais être élaborés au niveau régional, selon des modèles communs. Jusqu'à présent, ils l'étaient nationalement par les autorités responsables de chaque État membre. Nous souhaitons souligner le fait que le règlement ne précise pas quelle serait l'autorité chef de file pour l'élaboration de ces plans, ni, et cela semble plus préoccupant, pour leur mise en oeuvre en cas de besoin, ce qui pose un problème assez crucial de responsabilité.

La définition des groupes régionaux dans lesquels seront réalisés ces plans, donnée par l'annexe du règlement, fait l'objet d'un vif débat parmi les États membres. Pour les États les moins vulnérables, à l'Ouest de l'Europe, une approche par type de risque serait préférable, et le découpage régional proposé par la Commission apparaît trop rigide, trop strictement géographique, en tenant trop peu compte des complémentarités des États. Pour les États de l'Europe orientale, qui soutiennent l'approche de la Commission, il importe au contraire que les groupes soient composés de pays dont les profils de risque se complètent.

Nous soutenons l'approche française exprimée dans un non-papier, aux côtés de l'Allemagne, la Belgique, l'Italie et l'Autriche : une organisation selon le risque apparaît selon nous plus logique et plus souple, et permettrait de jouer des complémentarités productives sans empiler les structures administratives. La question de la gouvernance et de la coordination de ces structures reste toutefois posée et peu définie par la Commission.

Ensuite, deuxième axe, la clause de solidarité. Autre innovation importante, la clause de sécurité constitue une solution de dernier recours en situation d'urgence grave : la fourniture de gaz aux consommateurs protégés, à savoir les ménages et les services sociaux essentiels, dans l'État membre confronté à une situation d'urgence aura la priorité sur l'approvisionnement des consommateurs autres que les ménages et les services sociaux essentiels dans les États membres voisins.

Le principe sous-jacent à une telle disposition ne saurait être contesté : la solidarité est à la base du projet européen, particulièrement dans son versant énergétique. La promotion et la défense de formes de solidarité renouvelées sont donc à la fois nécessaires et pertinentes. Toutefois, le règlement reste là aussi assez vague sur les modalités concrètes de l'application de ce principe en cas de crise. Les États-membres ne sont pas propriétaires du gaz, de quels moyens pourront-ils disposer pour engager les sociétés commerciales de distribution à fournir au prix de marché le gaz à des consommateurs d'un autre marché national ? Les accords techniques et administratifs bilatéraux dont il est question ne risquent-ils pas de créer un foisonnement contraire à l'effort de coordination et de transparence affirmé par la régionalisation auxquels ils se juxtaposent ?

Cette disposition pose aussi le problème de possibles comportements non coopératifs : quelle incitation pour un État à engager les investissements utiles à l'approvisionnement en situation de pénurie s'il peut être approvisionné par ses voisins ?

De nombreux points restent à préciser, comme la forme juridique des accords nécessaires entre les compagnies gazières privées des États membres pour la mise en oeuvre de la fourniture de gaz, ou le rôle de supervision de la Commission. L'articulation entre groupes régionaux de coopération et clause de solidarité n'est curieusement pas faite, même si les États sont incités à « convenir des arrangements techniques, juridiques et financiers pour appliquer le principe de solidarité et les inclure dans les plans d'urgence ».

Le troisième axe repose sur la poursuite des investissements pour accroître la proportion des flux bidirectionnels. Le règlement de 2010 a permis de passer de 12 % de points d'interconnexion bidirectionnels en Europe à 40 %. Pour certains pays de l'Est de l'Europe, la possibilité de ces flux rebours est déterminante quant à leur sécurité énergétique, car elle leur permet d'avoir accès à du gaz en provenance de l'Ouest.

Dans le nouveau règlement, l'obligation de capacités bidirectionnelles sera plus forte, et les exemptions moins largement accordées. Toutefois, la décision reposera sur des analyses coûtsbénéfices réalisées par tous les pays concernés sur les corridors gaziers. La France n'ayant pas réalisé de flux bidirectionnel en raison de l'odorisation de son gaz, les mettre en oeuvre présenterait donc un coût très élevé pour un risque minime.

Selon nous, il ne s'agit pas pour l'Union de l'énergie d'imposer toujours plus d'obligations aux États, particulièrement dans les zones ne souffrant pas de graves dangers de ruptures d'approvisionnement. À cet égard, ils partagent l'analyse néerlandaise selon laquelle les capacités de substitution d'une autre énergie au gaz devraient intervenir dans l'évaluation des risques pesant sur l'approvisionnement des États (par exemple, la Finlande, très dépendante du gaz russe, peut toutefois lui substituer sans grande difficulté une alternative pétrolière.)

Enfin, le dernier axe, l'amélioration de la transparence et de l'information. Les entreprises de gaz naturel devront informer automatiquement les États membres et la Commission de certains contrats pertinents en matière de sécurité d'approvisionnement dès leur conclusion ou leur modification.

Sur ces sujets, il s'agira de déterminer plus précisément l'étendue des pouvoirs de la Commission et de veiller à ce que ces règles soient compatibles avec la sécurité et la confidentialité de certaines informations commerciales. Cette question fait partie des points sensibles discutés par les États membres. Vos rapporteurs tiennent à rappeler qu'en matière de partage d'informations, la France assume déjà largement ses obligations.

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