Intervention de Marie-Anne Barbat-Layani

Réunion du 12 juillet 2016 à 16h30
Commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire

Marie-Anne Barbat-Layani, directrice générale de la Fédération bancaire française, FBF :

Cela ne vous surprendra guère, mon propos sera parfaitement cohérent avec celui que vient de tenir Gérard Mestrallet.

Je rappelle tout d'abord que les banques françaises ont indiqué qu'elles n'étaient pas demandeuses du Brexit : elles souhaitaient que le Royaume-Uni reste dans l'Union européenne. Nous avons appelé l'attention des pouvoirs publics sur le fait qu'il faut très certainement, à la suite de ce séisme politique, s'attendre à un retour en force des attaques médiatiques diverses et variées contre ce qui reste de l'Europe, notamment contre la zone euro. Nous avons pu le constater un peu lors de nos entretiens avec les uns et les autres, notamment les députés britanniques au Parlement européen. Aujourd'hui, nous voyons effectivement ressurgir l'idée dans la presse : « Certes, le Royaume-Uni est parti, mais il quitte un ensemble qui fonctionne mal, et ce qui va vraiment mal, au sein de tout cela, c'est la zone euro. » Il est vrai que tout ne va pas bien mais il faut tenir bon face à ces attaques récurrentes, relayées par des organes de presse bien connus, des attaques qui ne manqueront de se renforcer dans les prochains jours.

Quant aux atouts et handicaps de la place de Paris, précisons tout d'abord que les banques européennes, telles les banques françaises, ne sont pas les plus affectées par la question de la localisation. Par définition, une banque française aujourd'hui présente à Londres, une banque allemande aujourd'hui présente à Londres ont déjà un pied, quels que soient les développements juridiques, dans ce qui sera demain l'Union européenne, et n'auront pas de difficultés pour continuer à exercer leurs activités. La question de l'attractivité se pose plus pour les banques extra-européennes dont le point d'entrée en Europe est Londres. Nous avons donc travaillé avec notre groupement des banques sous contrôle étranger, et je reviendrai sur ce que ses membres nous ont signalé comme nos atouts et nos handicaps. En première ligne, ils sont souvent les meilleurs défenseurs de ce que j'appellerai le « site France ». Patrons pour la France de grands groupes bancaires étrangers, ils passent leur vie à défendre auprès de leur groupe la localisation d'activités en France plutôt qu'ailleurs. Précisons aussi que la place de Londres, aujourd'hui première place financière mondiale dans un certain nombre de classements, ne va pas disparaître du jour au lendemain ; elle ne va pas se vider complètement au profit d'autres places financières qui se partageraient les dépouilles. En revanche, selon notre toute première analyse – l'événement est récent –, le monde financier deviendra plus multipolaire. L'objectif est de faire en sorte que la place de Paris puisse, de ce mouvement, retirer le maximum en termes de localisation d'activités et d'emplois.

Il faut bien admettre que nous ne partons pas d'une situation très favorable. Les sondages internes faits par les grandes institutions financières internationales montrent que Paris, en tant que place de repli en Europe à la suite du Brexit, est aujourd'hui le cinquième choix des dirigeants de grandes banques, derrière Dublin, Amsterdam-Bruxelles, Luxembourg et Francfort. Nous sommes donc en situation de challengers. Je vous rassure : nous sommes décidés à nous battre et nous avons quelques atouts, mais ayons conscience du point dont nous partons. Nuançons un peu tout de même : nous sommes classés premiers par les salariés. Jouons donc sur cet atout, d'autant que nous avons obtenu au cours des dernières semaines des avancées fondamentales, qu'a rappelées Gérard Mestrallet.

La mobilisation sans précédent de l'ensemble des pouvoirs publics concernés, notamment les collectivités territoriales, comme la ville de Paris et la région d'Île-de-France, lors du colloque du 8 juin dernier Place de Paris : « Welcome to Europe ! », a déjà marqué une première avancée significative. Les mêmes protagonistes se sont retrouvés en compagnie du Premier ministre et de Gérard Mestrallet lors des Rencontres financières internationales de Paris Europlace, et le signal a été très bien compris, notamment à l'étranger, puisque le Financial Times en a effectivement fait sa une. Cette mobilisation est tout à fait essentielle. Je ne reviendrai pas sur les annonces rappelées par Gérard Mestrallet. J'en évoque simplement une autre, postérieure : les autorités de contrôle, Autorité des marchés financiers (AMF) et Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR), se mettent en situation de proposer un guichet ou une filière d'accueil pour les institutions étrangères qui pourraient souhaiter s'installer à Paris, sur le modèle, à mon avis, de la filière d'agrément commune des fintechs précédemment annoncée. Or la lourdeur des procédures administratives est, pour nos interlocuteurs, un sujet important.

Aujourd'hui, nous abordons cette « guerre concurrentielle » comme des challengers. Les autres places financières sont mobilisées, et nous sommes dans une phase d'incertitude, dont Gérard Mestrallet a dit à quel point il était important qu'elle ne se prolonge pas. Il y a eu des tempêtes assez fortes sur les marchés, et les banques ont parfaitement résisté et montré leur solidité, même si leurs cours de bourse ont indéniablement été très chahutés – certes, plus au Royaume-Uni qu'en Europe, mais tout de même. Le risque est celui de l'attentisme des acteurs économiques et financiers, à l'heure où l'on perçoit les frémissements d'une reprise en Europe. Il serait évidemment très ennuyeux de se retrouver dans une situation d'attentisme généralisée, même si, évidemment, une part d'attentisme est normale : nous ne savons comment va évoluer la situation, ni quand sera déclenchée la procédure de sortie ni ce qui sera négocié.

Cette durée de deux ans inscrite à l'article 50 du traité sur l'Union européenne est notre seule certitude. Selon les dispositions de ce texte, à compter de l'ouverture des négociations, le pays concerné reste membre de l'Union européenne pendant deux ans. Cela suppose d'utiliser ces deux ans pour négocier un accord ; c'est tout à fait essentiel. Le groupe de travail dont Gérard Mestrallet a confié la présidence à Christian Noyer a examiné la question de près. Plusieurs scénarios sont possibles, aux conséquences cruciales. Les questions de passeport sont tout à fait essentielles dans le choix d'une localisation. L'enjeu concerne toutes les activités bancaires et, au-delà, toutes les activités financières qui rayonnent depuis Londres vers l'ensemble de l'Union européenne grâce au passeport financier. C'est le cas notamment des services d'investissement, de la gestion d'actifs, des activités des fintechs, souvent de très petites entreprises qui se conçoivent d'emblée comme européennes voire mondiales mais n'ont pas les moyens d'avoir cinquante localisations. Si elles ne peuvent pas bénéficier d'un passeport à Londres, il est certain qu'elles envisageront de se relocaliser dans un endroit qui leur en offre un.

Sur quoi la négociation avec le Royaume-Uni portera-t-elle ? Ce n'est pas du tout clair, mais c'est normal : elle n'a pas commencé, la notification au titre de l'article 50 n'étant pas encore intervenue. Attendons-nous cependant à des négociations serrées dans lesquelles il faudra être assez ferme. Il s'agit d'éviter que des acteurs continuent de bénéficier du passeport tout en étant soumis à des règles beaucoup moins strictes ou dont il ne serait pas véritablement vérifiable – comme aujourd'hui, dans un système harmonisé – qu'elles sont appliquées de manière aussi stricte. En un mot comme en cent, ce qui sera décidé à propos du passeport est crucial.

En ce qui concerne les atouts de notre place de Paris, des annonces ont été faites, mais ne négligeons pas les problématiques structurelles, bien connues, dont certaines sont propres au secteur financier, mais pas toutes. Les 133 banques regroupées au sein du groupement des banques sous contrôle étranger mentionnent le niveau des charges sociales, la taxe sur les salaires, taxe sur l'emploi dans le secteur financier, qui représente pour les banques une charge annuelle de 2 milliards d'euros mais qui pèse aussi sur le reste du secteur financier, le secteur associatif et le secteur médico-social. C'est le seul impôt de production de ce type qui subsiste sur les salaires en France. Elles évoquent aussi le droit du travail, avec les délais de mise en oeuvre des plans sociaux et les sanctions pénales qui s'attachent à une partie du droit du travail, et les risques nés de l'interprétation des textes de droit social mais aussi fiscal. Au-delà de la fiscalité elle-même se posent en effet des problèmes de stabilité des règles, ressentis vivement. L'éventuelle remise en cause, actuellement envisagée, des mesures prises en matière de fiscalité des actions gratuites dans le cadre de la loi dite « Macron » préoccupe nombre de nos banques étrangères, qui ont du mal à se retrouver dans le maquis des évolutions fiscales.

L'enjeu-clef, c'est l'écart de coût des employés pour l'employeur entre les différentes places, de Londres à Francfort en passant par Luxembourg. En 2014, le coût pour l'employeur d'un salarié rémunéré 300 000 euros était d'environ 370 000 euros à Londres et de plus de 450 000 euros à Paris. Les chiffres ont pu évoluer, mais les ordres de grandeur sont les mêmes. Nous partons donc d'une situation où les écarts sont importants.

Je reviens à la question des relations avec les services fiscaux. La jurisprudence fiscale et l'action des services fiscaux paraissent des sources d'incertitude pour nos banques étrangères. Certaines situations sont même perçues comme totalement incompréhensibles.

Je citerai tout d'abord l'exemple d'un contentieux fiscal qui les concerne au premier chef, et se révélera donc déterminant dans les décisions de localisation. Aujourd'hui, les succursales de banques étrangères en France sont assujetties à la contribution sociale de 3,3 % sur l'impôt sur les sociétés parce que le fisc français prend en compte le chiffre d'affaires consolidé au niveau mondial et non le chiffre d'affaires en France. C'est là une tentative d'instaurer une extraterritorialité fiscale. D'autres pays n'hésitent pas à le faire, mais, en l'occurrence, c'est très difficile à admettre, d'autant que des jugements ont été rendus en première instance, qui ont débouté le fisc. Il attend probablement d'être définitivement condamné, et le budget de l'État devra alors rembourser ; en attendant, c'est un problème. Second exemple, un récent arrêt du Conseil d'État sur la notion de résident fiscal prive du bénéfice des conventions bilatérales contre la double imposition les caisses de retraite et fonds de pension étrangers qui se voient appliquer une retenue à la source quand ils achètent des obligations et actions françaises. Ces problèmes peuvent paraître extrêmement techniques mais ils compliquent la tâche du patron d'une succursale française qui veut plaider la cause de Paris. Nous dialoguons évidemment avec l'administration fiscale pour essayer de résoudre ces problèmes ; ce n'est pas simple, mais c'est aussi une question d'état d'esprit et de signal qu'on veut faire passer aux opérateurs étrangers.

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